Belgique

Aidants proches et revenu de remplacement : le prochain défi social ?

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Par Line Jadot, chargée de cours à l'HELMo et conseillère de l’action sociale à la commune d'Anthisnes (carte blanche)

Ils sont plus de 600.000 en Belgique à fournir une aide inestimable et régulière à l’un de leurs proches en déficit d’autonomie.

Depuis le 1er septembre 2020, ces 600.000 Belges ont désormais un statut reconnu par la loi, celui d’aidant proche.

Si cette reconnaissance est principalement symbolique, permettant ainsi de valoriser l’aidant proche et de reconnaître son investissement, elle lui offre également, depuis le 1er septembre 2021, l’accès à un congé thématique rémunéré par l’ONEM d’une durée de 3 mois (avant cette date, la durée du congé thématique était d’un mois).

Ou devrions-nous plutôt dire que cette reconnaissance n’offre seulement qu’un congé rémunéré d’une durée de 3 mois…

Trois mois pour un parent qui s’occupe quotidiennement de son enfant souffrant d’une maladie et/ou porteur d’un handicap et qui dès lors, nécessite une attention permanente ? Trois mois pour un parent dont la maladie et/ou le handicap de son enfant fera partie intégrante de son quotidien à vie ? Cela paraît-il suffisant ?

Il est évident que cette mesure est tout à fait inadéquate pour les soins de longue durée.

La Belgique se vante régulièrement de posséder un système de sécurité social très développé. Ainsi, en 2019, les dépenses totales de protection sociale représentaient environ du 28,9% du PIB.

La sécurité sociale est définie comme étant "un système ouvert dont la finalité est de garantir des revenus et/ou soins aux particuliers ou ménages qui, temporairement ou de manière continue, ne sont pas (plus) capables de s’assurer eux-mêmes des revenus et/ou soins (suffisants)."

La Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée par les Nations Unies en 1948, en ses articles 22 et 25, reconnaît d’ailleurs le droit à la sécurité sociale comme étant un droit fondamental.

Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays.

Article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. 2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale.

Article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

Ainsi, (et heureusement !), il existe divers revenus de remplacement : pour les personnes au chômage, à la retraite, en incapacité de travail, …

Il convient également de ne pas oublier les Centres Publics d’Action Sociale (CPAS) qui viennent en aide aux personnes disposant de moyens de subsistance insuffisants, quelle qu’en soit la raison (perte de droits sociaux, situation de séjour irrégulier, …).

Les aidants proches ne rentrent dans aucune de ces cases : c’est la vérité affligeante à laquelle ces personnes doivent faire face en Belgique… en 2022.

Il n’existe aucun revenu de remplacement ni aucune aide sociale actuellement disponible pour ces parents qui s’occupent quotidiennement de l’un de leurs proches.

Or, dans le cas d’un enfant malade et/ou porteur d’un handicap, il n’est pas rare que l’un des deux parents doive arrêter de travailler afin de s’occuper au mieux de son enfant et de lui prodiguer les soins nécessaires.

Dans la majorité des cas, ce n’est pas durant trois mois que ce parent doit arrêter de travailler, mais bien le temps d’une vie.

C’est alors à l’autre parent d’assumer financièrement toute sa famille, devant souvent cumuler plusieurs emplois et devant ainsi s’imposer une difficulté supplémentaire dans une vie pourtant déjà suffisamment rude.

La Belgique ne devrait-elle pas, comme elle le fait pour une série d’autres catégories de citoyens, soulager financièrement ces familles en leur accordant un revenu de remplacement également ?

Avoir un enfant malade et/ou porteur d’un handicap n’est-il pas déjà une épreuve de la vie suffisante ?

Les aidants proches ne rentrent-ils pas parfaitement dans la définition de la "sécurité sociale" mentionnée ci-dessus ? Ils ne sont en effet plus capables de s’assurer eux-mêmes un revenu et ce, pour s’occuper d’un proche pour qui leur aide est devenue indispensable. N’est-ce pas une justification légitime ?

Enfin, rappelons qu’en matière d’aide sociale financière, le respect de la dignité humaine est apprécié sous l’angle de l’état de besoin.

Ces familles sont dans un état de besoin. Probablement sont-elles même dans un état de détresse et cela n’est plus acceptable au 21e siècle, et à l’heure où la Belgique se définit fièrement comme étant un Etat social.

Théoriquement, les aidants proches pourraient s’adresser aux CPAS et introduire une demande d’aide sociale. Toutefois, l’aide sociale est le dernier échelon de la sécurité sociale et subsidiaire aux autres revenus de remplacement.

Généralement, un citoyen bénéficiera d’une aide sociale temporairement, jusqu’à ce qu’il récupère ses droits sociaux. Dans le cas des aidants proches, il n’y a pas de droits sociaux à récupérer.

La Belgique leur impose par conséquent de s’appuyer exclusivement et indéfiniment sur le dernier échelon de la sécurité sociale avec toutes les incertitudes et les inconvénients que cela comporte.

Il est grand temps que la société belge cesse de fermer les yeux sur la situation catastrophique des aidants proches et qu’elle leur vienne en aide à eux également en leur octroyant plus qu’un statut symbolique et un congé thématique de trois mois.

La Belgique sera alors véritablement un Etat social.

Line Jadot, chargée de cours à l'HELMo et conseillère de l’action sociale à la commune d'Anthisnes

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