La Libye, un enfer pour les migrants
Ces réseaux s’étirent jusqu’en Libye. Sans État qui fonctionne, ils s’enrichissent, en toute impunité sur le dos des migrants. Folé en a fait l’expérience. Il est resté deux mois, prisonnier de milices, avec des centaines d’autres migrants. Il nous raconte: "Je suis allé en Libye. Ils m’ont attrapé et ils m’ont mis en prison pendant deux mois. Des inconnus m’ont demandé beaucoup d’argent. Mais ma famille n’a pas cet argent. Des gens m’ont aidé à sortir. Il y a plus de 4000 personnes retenues dans cette prison à Tripoli. Ils souffrent. Tous les jours, ils battent les gens. Et ils exigent de l’argent. Il y a des migrants qui deviennent fous. Les geôliers mettent tout le monde au sol, ils en choisissent quelques-uns, les emmènent dehors et commencent à tirer. Ils exigent de l’argent. Comme ça, vous avez peur. Et vous appelez votre famille pour qu’elle vous en envoie le plus vite possible. Vraiment, ce pays n’est pas tranquille…".
Sous le choc, Folé a décidé de rebrousser chemin et de rentrer au Sierra Leone. A Agadez, c’est le Centre de transit de l’OIM, l’Organisation Internationale pour les Migrations qui l’a recueilli. Il fonctionne depuis quelques mois à peine, grâce à des fonds européens. Ousseini Djibo en est le gestionnaire: "Ceux qui viennent ici dans le centre, ce sont des migrants de retour. Et généralement, de retour volontaire. Ils sont diminués, et dans le dénuement le plus complet. Ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Donc, ces gens-là, nous les enregistrons et nous faisons en sorte qu'ils rentrent dans la paix et dans le calme".
L'accueil et la rengaine de l'Organisation Internationale pour les Migrations
Dans la grande cour du centre, il y a aussi quelques femmes. Assise sous un hangar en robe de nuit, Caroline raccommode un pantalon. Elle est impatiente de rentrer chez elle au Nigéria, après avoir passé 10 mois en Libye. " Je suis venue ici par mes propres moyens. Parce que l’expérience que j’ai eue était vraiment mauvaise. Il y a beaucoup de choses qui s’y passent, et vous le savez ! La façon dont ils traitent les gens. Ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains. Les Arabes, ils maltraitent les étrangers. Ils vous parlent n’importe comment. Ils peuvent vous faire n’importe quoi. Et ils le font librement, parce que personne n’est là pour les punir ou les arrêter. En ce qui me concerne, je devais gérer le restaurant de mon oncle. Mais à la fin de la journée, il me disait que je devais le payer en retour. Vous comprenez ! Je ne vais pas vous mentir. En Libye, pour les femmes, il n’y a pas de travail. Il y en a juste quelques-unes qui font les cheveux ou la couture. Juste quelques-unes. Pour le reste, toutes les Nigérianes, les Camerounaises. Tout ce qu’elles font, c’est se prostituer c’est tout".
C’est ici aussi qu’échouent des migrants refoulés par l’Algérie. Un convoi les ramènera à Niamey, la capitale. Pour les retours volontaires, comme forcés, c'est une étape difficile. Hassan est psychologue au centre de l'OIM: "Même physiquement, certains sont très fatigués, ils ont fait des centaines de kilomètres à pied. Ils sont déshydratés, mal nourris et vraiment, sur le plan psychologique, c’est déplorable". Romaric est avachi sur un banc. Il est Camerounais. "Je me sens mal, je n’ai pas le choix, je suis obligé de faire demi-tour. Romaric ne sait pas comment va réagir sa famille. Il appréhende sa réaction: "J’ai peur parce que la famille a dépensé pour moi pour que je puisse aller en Europe et je n'ai pas pu et je rentre sans rendement. C'est pour ça que j'ai peur". Au centre, Romaric lit la bible. Il joue aux damiers, ou au football.
L'Europe toujours dans la tête, mais par la voie légale.
Pour tuer le temps, d’autres décident de se former. L’OIM propose des formations, comme celle de gestion en entreprise. Mais ceux qui la suivent ne se font pas vraiment d’illusion. L’avenir n’est pas au pays. Ils continuent à rêver d’Europe, mais autrement. "Maintenant, nous, on a décidé de ne plus venir par la voie routière. Parce qu'ici, c'est la merde, c'est la voie de l'enfer, peut-être pire que l'enfer. On va migrer par la voie aérienne, avec des visas".
Retourner chez eux. Puis migrer légalement. C’est devenu une rengaine que répètent les migrants du centre. Et c’est aussi l’idée que l’OIM tente de diffuser dans les ghettos et dans la tête de ceux qui sont sur le départ. Ousseini Djibo, le gestionnaire du centre, sait pourtant qu’il prêche dans le désert… Et quelque part, c'est surtout à l'Union européenne qu'il s'adresse: "L'Union européenne ferme ses frontières et fait une migration choisie. Mais combien d’Africains peuvent réellement aller en Europe ? Et combien veulent-y aller ? C’est la migration que l’on ne veut pas. Mais l’Europe a besoin de cette main d’œuvre. Qu'elle fasse en sorte que ça se passe dans la dignité. Et sans perte de vie. Il faut légaliser la migration".
En attendant, dans la ville, discrètement, on voit des pick-up blancs, prêts à embarquer à l’arrière une vingtaine de migrants. Dans les ghettos, la boussole de Boubacar, Abdul, Salif et les autres indiquent toujours le Nord. Quel qu’en soit le prix ou l’itinéraire. Salif va patienter un peu, puis prendre une autre route: "Je vais attendre un peu à Agadez et si ça ne passe pas, je prendrai une autre route, l'Algérie peut-être. Je n'abandonnerai pas. Je vais encore tenter ma chance". Boubacar aussi est déterminé: "Quand tu quittes ta maison, tu es prêt à tout, jusqu'à un point final. On se sacrifie pour nos familles".