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Afghanistan : départs entravés à l’aéroport de Kaboul et des listes noires établies par les Talibans, selon un rapport accablant

Aéroport de Kaboul, le 19 août 2021

© BELGA/AFP

Par Corentin Laurent avec Agences.

Alors que les pays occidentaux continuent d’affréter des avions vers Kaboul pour évacuer leurs ressortissants et le personnel ayant travaillé avec eux. L’aéroport est le théâtre de tous les désespoirs. Contrairement à ce qu’ils avaient annoncé, le départ des afghans et des Occidentaux est fortement perturbé, voire entravé, par les talibans qui constituent des check-points. Une présence menaçante des talibans lourdement armés.

Un parcours du combattant entre la ville et l’aéroport donc. D’autant plus que les talibans se serviraient de cette foule pour établir des listes noires qui contiennent les noms et adresses d’afghans ayant travaillé pour le gouvernement déchu ou les Occidentaux, selon un rapport. Explications.

Un rapport accablant

"Les Talibans intensifient la chasse de tous les individus et les collaborateurs de l’ancien régime, et quand cela ne fonctionne pas, ils ciblent et arrêtent les familles et les punissent, en accord avec leur propre interprétation de la Sharia", c’est ainsi que débute le rapport du RHIPTO, un organisme qui compile des informations stratégiques et qui les fournis aux Nations Unies, que la RTBF a pu se procurer.

Dans ce rapport, il est fait mention de l’aéroport de Kaboul, où un screening de la foule serait mené par les Talibans. "Plusieurs rapports démontrent que les talibans ont établi des listes d’individus, numéros de téléphone et membres de la famille d’individus soupçonnés d’avoir collaboré avec les forces alliées", ces personnes seraient ensuite "menacées de mort et/ou arrêtée".

Des screening similaires seraient en cours autour de toutes les grandes villes conquises, comme à Jalalabad, où la contestation face aux Talibans est forte, ainsi que sur toutes les autoroutes. Les islamistes profiteraient donc de mouvements de population insufflés par les évacuations occidentales pour repérer les afghans ayant collaboré avec les alliés. Le rapport indique qu’il est fort probable que la situation évolue "vers une fermeture complète du périmètre extérieur de Kaboul dans les prochains jours".

Dès le 16 août, jour de la prise de Kaboul, un Afghan ayant travaillé avec les Britanniques et les Américains a reçu une lettre, selon le rapport. Une lettre qui demande au concerné "de se rendre au quartier général de la Commission de l’Armée et du Renseignement de l’Emirat islamique d’Afghanistan […] de fournir des informations sur la nature de votre travail et votre relation avec les Britanniques et les Américains", et qui se conclut par une menace, "si vous ne venez pas au rapport à la Commission, votre famille sera arrêtée à la place, et vous en serez responsable. Vous et votre famille serez traités sur base de la Sharia".

Un double barrage filtrant

Outre, le screening présumé des talibans. Les insurgés retiennent et dissuadent les afghans qui veulent partir aux portes de l’aéroport. La chaîne de télévision Sky News, qui accompagnait une unité militaire britannique, en témoigne : l’accès à l’aéroport est conditionné à un double barrage filtrant.

Dans un premier temps, la foule est contrôlée par les talibans qui barrent l’accès à l’aéroport. Ils contrôlent les papiers des Afghans principalement. La foule est dense, et un combattant islamiste, debout sur un véhicule, tire des coups de feu en l’air à intervalle régulier pour stopper l’afflux de personnes.

Les exilés marchent ensuite entre une colonne de talibans lourdement armés et l’enceinte de l’aéroport, une présence menaçante, rapporte le journaliste de Sky News.

Des talibans qui se montrent agressifs et menaçants envers la population, comme le montrent ces images.

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Une fois ce premier barrage passé, c’est une scène surréaliste qui se dessine. Des militaires britanniques sont à seulement un mètre des combattants talibans, séparés par une barrière formée avec des voitures surmontées de barbelés. Ils vérifient à leur tour les documents des personnes souhaitant passer.

A priori, la condition pour embarquer dans un avion européen ou américain est de présenter un document qui prouve avoir travaillé avec les chancelleries et les armées occidentales.

Dans les faits, les soldats ont une certaine marge de manœuvre, toujours selon Sky News. Ainsi, Fatima, une mère dont le mari violent est parti dans les rangs des talibans a pu passer les barrages. "Les Etats-Unis, le Canada, la France, peu importe le pays, juste pour moi et ma fille", suppliait-elle.

En revanche, certains doivent rebrousser chemin, parmi lesquels, des enfants et femmes. C’est le cas d’une médecin qui n’a a priori aucun droit particulier qui lui permettrait de quitter son pays.

© AFP or licensors

Une présence menaçante dans les rues de Kaboul

La présence talibane dans les rues de Kaboul se veut, aussi, dissuasive. Clarissa Ward, journaliste pour la chaîne américaine CNN, en a fait l’expérience. Alors qu’elle arpentait les rues de la capitale, sous les coups de feu tirés en l’air, son équipe a été accostée par un taliban visiblement agacé. "Pourquoi les Américains mentent et leur disent qu’ils (ndlr : des afghans) peuvent aller aux Etats-Unis ? Pourquoi ne les laissent-ils pas rester pour aider leur pays ?", lance alors le combattant à la journaliste.


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Dans la foulée, un groupe d’afghans interpellent l’équipe de télévision pour demander de l’aide. Tous ont des papiers qui attestent avoir travaillé avec les Occidentaux, mais rejoindre l’aéroport leur est impossible. "Ils ont tous travaillés dans les bases américaines comme traducteurs et ils ne peuvent pas entrer dans l’aéroport", constate Clarissa Ward, qui doit s’éloigner tant la présence des combattants ponctuée de tirs de sommation se fait menaçante.

Une situation difficile évitable pour les forces de sécurité occidentales. Comme on peut l’observer sur cette carte, l’aéroport est certes sécurisé par les armées de l’Otan, mais l’accès à celui-ci depuis les chancelleries occidentales est principalement relié à une route, qui elle, est contrôlée par les insurgés.

© RTBF avec BBC

Promesse non-tenue

L’obstacle taliban aux évacuations est aussi surprenant qu’il est difficile à contourner. Washington et les islamistes avaient conclu un accord : tout le monde doit pouvoir passer. La réalité est tout autre. "Nous avons vu des informations rapportant que les talibans, contrairement à leurs déclarations publiques et à leurs engagements vis-à-vis de notre gouvernement, empêchent les Afghans qui souhaitent quitter le pays d’atteindre l’aéroport", déclare Wendy Sherman, numéro deux de la diplomatie américaine.

Dans la foulée, les diplomates américains ont exhorté les représentants des talibans de permettre le départ des citoyens américains, des ressortissants de pays tiers et, aussi, des afghans. Promesse non-tenue donc, même si Washington le précise, les talibans n’entravent pas l’accès à l’aéroport pour les citoyens américains.


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Même si les ressortissants afghans sont les plus touchés par l’entrave talibane, la route vers l’aéroport n’est pas une promenade de santé pour les étrangers. Comme en témoigne Victoria Fontan, une professeure de français coincée à Kaboul qui n’a jamais pu rejoindre l’aéroport, interrogée par CNN.

"Ce qui s’est passé hier soir, c’est que huit de nos collègues philippins se sont rendus à la porte de l’aéroport qu’ils étaient censés traverser pour prendre un vol et il y a eu des coups de feu en l’air. Ils ont montré leur pièce d’identité et ils n’ont pas été autorisés à entrer. Donc, ils figuraient sur le manifeste de vol. Ils avaient tous les documents prêts pour partir et ils n’ont pas été autorisés à entrer par la porte. Ils ont été intimidés par les talibans, puis ils ont dû se retirer vers la base où nous sommes", raconte-t-elle, dans l’attente qu’un hélicoptère soit affrété pour les évacuer.

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Où en sont les évacuations ?

Malgré les conditions extrêmement difficiles, les évacuations se poursuivent. L’Allemagne a envoyé 600 soldats à Kaboul pour soutenir les évacuations jusqu’au 30 septembre au plus tard, ce qui a déjà permis l’extradition de 500 personnes dont un peu moins de la moitié sont des Afghans. Même chose du côté de la France, qui a organisé un pont aérien avec les Emirats. Ce matin 120 personnes, essentiellement des Afghans, ont atterri à l’aéroport de Roissy. Alors que le Royaume-Uni a déjà rapatrié 306 Britanniques et plus de 2000 Afghans.

L’Union européenne, aussi, suit de près le retour des auxiliaires ayant travaillé pour les institutions. Une centaine a déjà pu entrer sur le territoire, mais ils seraient encore 300 à attendre à Kaboul. "Ces personnes ont loyalement promu et défendu les intérêts et les valeurs de l’Union européenne pendant des années. C’est notre devoir moral de les protéger et de sauver le plus de gens possible", a déclaré le chef de la diplomatie européenne, Joseph Borrel.


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C’est en fait un gigantesque pont aérien qui est tracé entre l’Occident et le moyen orient. Une évacuation d’envergure internationale, outre les pays cités ci-dessus, on retrouve l’Espagne, la Turquie, les Pays-Bas, la Pologne, le Danemark, la Norvège, la République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie ou encore la Roumanie.

Des évacuations sous hautes tensions, avec en tête, les Etats-Unis dont le départ du pays a précipité la prise de pouvoir des talibans. Les Américains vont accueillir 30.000 personnes au total, Américains et civils afghans. Via leurs bases au Koweït et au Qatar, ils ont déjà acheminé plus de 3200 personnes, notamment du personnel américain, et près de 2000 réfugiés afghans. Mais la présence américaine à l’aéroport de Kaboul est nécessaire au bon fonctionnement des évacuations de tous les pays. Pourtant, les troupes doivent avoir quitté le territoire pour 31 août prochain. Une présence qui pourrait être prolongée selon le président Joe Biden, "s’il reste des citoyens américains, nous resterons jusqu’à ce qu’ils soient tous évacués", a-t-il annoncé lors d’un entretien à la chaîne de télévision ABC News.

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Aéroport de Kaboul : des scènes poignantes

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7000 évacués par les USA

Environ 7000 personnes ont été évacuées d’Afghanistan par l’armée américaine depuis le 14 août, a indiqué jeudi un haut responsable du Pentagone, ajoutant que l’armée était prête à augmenter la cadence des évacuations au moment où des milliers d’Afghans tentent de quitter le pays.

"Depuis le début des opérations d’évacuation le 14 août, nous avons transporté par avion environ 7000 évacués", a dit le général Hank Taylor, lors d’une conférence de presse. Au total, près de 12.000 personnes ont été évacuées depuis la fin juillet, a-t-il ajouté. Parmi eux, des citoyens américains, des membres de l’ambassade américaine, et des Afghans ayant travaillé pour les Etats-Unis, notamment en tant qu’interprètes pour l’armée américaine, demandant un visa d’immigration spéciale (SIV) par crainte des représailles des talibans.

Face à l’afflux de candidats au départ qui se pressent à l’aéroport de Kaboul depuis la prise du pouvoir par les talibans, l’armée "est prête" à augmenter les rotations aériennes et a l’intention de "maximiser la capacité de chaque avion" pour évacuer le plus grand nombre de personnes, a expliqué le général Taylor.

Le premier ministre Alexander De Croo était l'invité de notre journal (2)

Aide espagnole

Un avion militaire espagnol quittera Dubaï dans la nuit de jeudi à vendredi pour se rendre à l'aéroport de Kaboul, d'où il rapatriera des Espagnols ainsi que des collaborateurs afghans, a annoncé jeudi soir le ministère des Affaires étrangères.

"Un avion A400M partira cette nuit de Dubaï en direction de Kaboul où il récupèrera un deuxième groupe de personnes que l'Espagne évacue d'Afghanistan", a indiqué le ministère, précisant que l'avion décollerait de Dubaï "vers 03H00 heure espagnole" (01h00GMT).

Un peu plus tôt dans la soirée, le ministère avait signalé qu'un quatrième avion avait quitté Saragosse, dans le nord-est de l'Espagne, pour rallier Dubaï afin de participer aux mêmes opérations de rapatriement.

Un premier avion espagnol avait ramené en Espagne, à l'aube, une cinquantaine d'Afghans et cinq Espagnols, en atterrissant à la base militaire de Torrejón de Ardoz (nord-est de Madrid).

Le ministère des Affaires étrangères avait par ailleurs indiqué qu'un avion, parti de Rome, avait atterri à Madrid dans la nuit de mercredi à jeudi avec à son bord 36 travailleurs afghans de la mission de l'Union européenne à Kaboul.

Berlin envoie 600 soldats à Kaboul

L'Allemagne a déjà fait sortir 500 personnes, dont 202 Afghans, et a par ailleurs approuvé l'envoi de 600 soldats à Kaboul, pour soutenir l'évacuation "du plus grand nombre de personnes possible", jusqu'au 30 septembre au plus tard.

Sujet du JT du 18 août

Nouveau vol d'Afghans vers la France

Le pont aérien français via les Emirats se poursuit, avec l'arrivée jeudi à Paris de plus de 200 personnes dont une grande majorité d’Afghans. Les premiers Afghans mis en sécurité par la France sont arrivés mercredi soir à Paris.

"Nous sommes en train de recenser un certain nombre de besoins très urgents ; on parle sans doute de quelques milliers de personnes à exfiltrer", majoritairement des Afghans, a déclaré jeudi le secrétaire d'État français aux Affaires européennes Clément Baune.

La France sera "au rendez-vous de l'asile" pour les Afghans menacés, a-t-il dit, évoquant la "possibilité" d'un sommet extraordinaire européen.

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