Au terme d’une lecture de cinquante pages d’un jugement traduit deux fois, en néerlandais puis en sorani, la langue des parents, le tribunal correctionnel de Mons a condamné le conducteur de la camionnette à 4 ans de prison ferme et le policier à l’origine du tir mortel à 1 an de prison avec sursis et une amende de 400 euros. Le passeur est acquitté au bénéfice du doute.
Pour rappel le ministère public avait requis pour les deux ressortissants irakiens, des peines sévères de sept et dix ans, l’accusation considérant que par leur comportement la nuit des faits, ils avaient clairement mis en danger la vie d’autrui. Et l’accusation avait requis une peine d’un an de prison avec sursis contre le policier pour homicide involontaire par défaut de prévoyance ou de précaution.
Entrave méchante à la circulation et rébellion de la part du conducteur
Dès l’entame du jugement, la présidente Bastiaans a indiqué que le tribunal ne se prononcerait que sur les faits dont il était saisi et non sur la politique menée par la Belgique en matière d’accueil des migrants, ce qui dépasserait largement le cadre de sa saisine. Pour les préventions à charge du conducteur, l’entrave méchante à la circulation avec circonstance aggravante de mort, le tribunal a estimé la prévention établie. " Les éléments de faits constatés tant par les policiers que les témoins en attestent ". Le conducteur de la camionnette a provoqué un accident à hauteur de Sombreffe en donnant un coup de volant à gauche. L’un des policiers a dû se déporter et est entré en collision avec un autre véhicule. Le conducteur roulait dangereusement jusqu’à frôler d’autres véhicules et a failli faire un tonneau. Des objets ont été lancés sur la route pour freiner la police et l’empêcher de passer. Le conducteur a encore tenté de provoquer un autre accident un peu plus loin. Il en résulte pour le tribunal que le conducteur a volontairement empêché les autres usagers de poursuivre leur route normale.
L’attitude du conducteur en lien causal avec la mort de Mawda
L’entrave méchante à la circulation est à l’origine du drame qui a suivi estime le tribunal. La course-poursuite a duré 60 kilomètres et le tir policier était prévisible lorsque le policier a sorti son bras avec son arme. Le chauffeur et le policier étaient à la même hauteur. Pour la présidente du tribunal : " Le chauffeur devait donc nécessairement avoir vu l’arme et être au courant du risque de tir. La mort de Mawda est donc en lien causal avec l’entrave méchante à la circulation imputable au chauffeur". A la prévention d’entrave à la circulation avec la circonstance aggravante de mort s’ajoute la rébellion armée, la camionnette utilisée constituant une arme par destination. Mais le "concert préalable" avec l’autre prévenu n’est pas retenu.
Probabilité proche de la certitude, le prévenu est bien le chauffeur de la camionnette
Quant à la qualité du prévenu qui nie toujours être le chauffeur, le tribunal observe que même si certains occupants disent que le conducteur s’est enfui à l’arrivée sur le parking, des éléments montrent qu’aucun occupant n’a pu s’échapper avant l’intervention de la police. Le parking était bien éclairé. Le témoignage de plusieurs policiers le confirme, les portières étaient gardées par des policiers. Pour le tribunal, le témoignage du prévenu Dell (le chauffeur présumé) est dénué de bon sens. Pour la présidente Baastians : " Il résulte par ailleurs un ensemble d’éléments de preuves graves ne laissant aucun doute sur le fait que le prévenu était bien le chauffeur. Notamment le travail de l’INCC, les traces ADN retrouvées sur le volant proviennent du prévenu. Les services de police sont catégoriques quant à l’impossibilité d’une fuite de la camionnette. Par ailleurs, Un foulard et un sweat-shirt ont été retrouvés à l’avant, ces éléments appartiennent au prévenu, c’est dans une probabilité proche de la certitude. Avec également l’ADN du prévenu sur un mégot retrouvé à l’avant de la camionnette ".
Pas de certitude concernant le rôle du prévenu présenté comme le "passeur"
Après avoir énoncé les éléments à charge retenus contre lui, notamment son ADN retrouvé sur les mégots présents à l’avant de la camionnette, son empreinte digitale sur le paquet de cigarettes présent dans la boîte à gants. Et des témoins qui affirment qu’il est celui qui ressemblait le plus au passeur, le tribunal a estimé que ces éléments n’établissent pas à suffisance qu’il est le coauteur des principales préventions, l’entrave méchante et la rebellion.
Le policier n’aurait pas dû sortir son arme estime le tribunal
Le tribunal estime que la version du policier a été constante. Il n’a pas essayé de dissimuler qu’il était l’auteur d’un coup de feu. Le tribunal estime que la version des faits du policier est vraisemblable et qu’aucun argument sérieux ne vient la contredire de manière décisive. Il s’agit donc pour le tribunal d’un tir accidentel causé par une embardée de la voiture de police causée elle-même par une embardée de la camionnette de migrants.
Conséquences prévisibles des risques pour les passagers
Mais pour le tribunal, il n’y a aucune proportionnalité entre le danger que représentait la camionnette et le risque pris en sortant son arme. L’absence de formation n’est pas de nature à excuser le policier qui n’aurait pas dû en pareilles circonstances sortir son arme. Concernant l’absence de formation, cela aurait dû inciter le policier à d’autant plus de prudence. Pour le tribunal, les conséquences possibles (perte de contrôle de la camionnette, éventuel ricochet de la balle) étaient prévisibles et sans commune mesure avec l’objectif d’arrêter le véhicule. L’objectif de stopper le véhicule aurait pu être atteint autrement (barrage par exemple).
Le décès de Mawda en lien direct avec le tir policier
En plus, la camionnette roulait à une certaine vitesse, viser le pneu comportait un risque important pour les occupants de la camionnette et le reste des usagers de la route. D’autre part, le risque que le projectile soit dévié de sa trajectoire était grand et mettait aussi en péril les occupants et les usagers de la route. Pour la présidente " Il apparaît hasardeux de compter sur son habileté ou la chance pour viser le pneu alors que les véhicules roulaient à une vitesse appréciable ". En conséquence, la faute est établie ainsi que le lien direct. Sans cette faute, il n’y aurait pas eu le décès de la victime.