Belgique

Affaire Chovanec : Jan Jambon informé dès mars 2018, il sera entendu à la Chambre

Depuis les révélations concernant les circonstances qui ont conduit à la mort du Jozef Chovanec, un ressortissant slovaque décédé à Charleroi en février 2018, et le pas de côté du numéro 2 de la police fédéral, jeudi dernier, les explications des ministres de l’Intérieur et de la Justice étaient très attendues. Pieter De Crem (CD&V) et Koen Geens (CD&V) étaient entendus à la Chambre ce mardi. Si le ministre de Justice était en poste à l’époque, celui de l’Intérieur a succédé à Jan Jambon (N-VA).

Tous les groupes politiques ont posé de nombreuses questions aux deux ministres : qui était au courant de quoi ? Pourquoi l’enquête est-elle toujours en cours ? Celle-ci a-t-elle été écartée ? Pourquoi a-t-il fallu attendre la diffusion des images pour que l’agente qui a fait un salut hitlérien soit écartée ? Comment expliquer que ces images ne soient pas remontées dans la hiérarchie ? La méthode d’immobilisation est-elle toujours utilisée ?

Le cabinet Jambon au courant dès le mois de mars 2018, bientôt entendu 

Le ministre de l’Intérieur a informé le Parlement que le cabinet de son prédécesseur, Jan Jambon, avait été mis au courant depuis le début du mois de mars 2018.

Dans sa réponse, Pieter De Crem a indiqué que si habituellement il "défend les interventions policières qui dans beaucoup de circonstances doivent faire preuve de compréhension", ce n’était pas le cas dans cette affaire. Le ministre de l’Intérieur dit ne pas avoir été informé ni de l’existence de cette affaire, ni des images vidéo. Lorsque l’élu CD&V devient ministre de l’Intérieur en décembre 2018, lors du briefing des plus hautes autorités policières, le décès de Jozef Chovanec n’a pas été abordé, ni d’un éventuel dossier disciplinaire. Pieter De Crem précise que depuis son entrée en fonction, il a pris des décisions dans 168 dossiers disciplinaires.

Après un rappel des faits concernant les circonstances ayant provoqué l’arrestation de M. Chovanec (expulsion de l’avion décidée par le commandant de bord, après qu’il a poussé une steward), Pieter De Crem explique qu’un médecin a vu Jozef Chovanec, l’a déclaré "apte" à être maintenu en cellule. Dans la nuit, celui-ci s’est frappé la tête contre les murs. Selon le ministre, M. Chovanec était particulièrement agité, Pieter De Crem évoquant le syndrome "de délire agité", un comportement très agressif accompagné d’un non-respect des injonctions. Il y a eu un arrêt cardiaque, avant une réanimation. Jozef Chovanec est tombé dans le coma, avant de décéder quelques jours plus tard.

Ce décès a fait l’objet d’une communication du Parquet. Dans la foulée, l’ambassade de Slovaquie s’est informée de la situation. Selon Pieter De Crem, il y a eu un premier contact entre les Slovaques et le SPF Affaires étrangères, avant, le 4 juillet 2018, qu’un rapport soit envoyé au cabinet de Jan Jambon. Et ce rapport fait mention d'une rencontre entre l'ambassadeur slovaque et Jan Jambon le 2 mars 2018. Les Commissions de l'Intérieur et de la Justice entendront l'ancien ministre de l'Intérieur.

Le salut nazi "pas compatible avec le comportement attendu"

Concernant le salut nazi et les images, Pieter De Crem a répété à plusieurs reprises qu’un certain nombre de hauts responsables policiers, bien qu’au courant de l’affaire, n’avaient pas vu les images vidéo, tant du côté de la police aéroportuaire que de la direction des opérations des polices administratives. La police a pris des mesures d’ordre, dont la mutation de la policière vers une fonction sans contact avec le public, après avoir pris connaissance des images. Ceci en attendant le résultat de l’enquête disciplinaire et judiciaire. Qui doit déterminer si les actes posés étaient proportionnels.

Pieter De Crem a également longuement informé le Parlement sur un groupe de travail mis en place à la fin de l’année 2018 sur les comportements à adopter face au syndrome de délire agité ou de psychose aiguë. Ce groupe de travail a développé une approche multidisciplinaire. Et à ce jour, près de 1000 membres des forces de l’ordre ont bénéficié de cette formation.

Une reconstitution va avoir lieu

Le dossier d’instruction fait 1600 pages. Dès son introduction, le ministre de la Justice, Koen Geens, a indiqué qu’il ne pouvait entrer dans le détail en raison du secret de l’instruction. Pour Koen Geens, les "gestes observés sont disproportionnés et inacceptables", indique-t-il en préambule.

Le ministre de la Justice a proposé un déroulé, côté Parquet, de la procédure depuis l’arrestation de Jozef Chovanec. Ainsi, c’est 60 auditions qui ont été réalisées par le comité P sur ordre du juge d’instruction. En janvier 2020, la juge d’instruction a communiqué le dossier au procureur pour présentation d’un réquisitoire devant la chambre du Conseil. Mais les parties civiles (la famille de Jozef Chovanec) ont demandé plusieurs devoirs complémentaires : audition d’un médecin, de membres de l’ordre des médecins, d’agents de police. Il y a eu aussi une contre-expertise réalisée par les parties civiles. En juin 2020, l’instruction a demandé un rapport au légiste, en tenant compte de cette contre-expertise. A sept reprises, les parties civiles ont demandé un accès au dossier. La Slovaquie a demandé à trois reprises des nouvelles du dossier d’instruction : en mars 2018, en 2019 et en 2020. A chaque fois, via le SPF Affaires étrangères, la Slovaquie a été informée.

Concernant les images vidéo, Koen Geens n’en avait pas connaissance. Celui-ci évoque ses rencontres régulières avec le procureur du Roi de Mons Ignacio De La Serna. A l’époque, l’affaire Mawda a entraîné plusieurs réunions entre les deux hommes, au cours desquelles l’affaire Chovanec n’a pas été évoquée : "La Constitution règle l’indépendance totale du Parquet et du juge d’instruction. En mai 2018, le Parquet n’a plus suivi activement le dossier, celui étant en cours. Ce qui explique que le Parquet ne doit pas nécessairement m’informer" explique le ministre de la Justice. Qui explique avoir fait un examen de conscience : "Je lis beaucoup la presse et je regrette que cela n’ait pas assez attiré mon attention."

Concernant les derniers développements de l’enquête, Koen Geens a annoncé qu’une reconstitution allait avoir lieu. Elle a été décidée ce mardi 25 août 2020. Autre décision récente : la désignation d’un expert psychiatre.

Courroux parlementaire

Les réactions des différentes formations politiques allaient dans le même sens. Au nom du PS, le chef de groupe Ahmed Laaouej se dit "stupéfait. Tant la hiérarchie que l'ex-ministre Jambon étaient donc à tout le moins informés des circonstances du décès de Jozef Chovanec. Il y a eu mort d'homme : que s'est-il déclenché par la suite dans un contexte d'incident diplomatique ? Si aucune suite n'a été donné au niveau disciplinaire, se pose la question : était-ce de l'inertie ou de l'impunité ? Il faut répondre à cette question."

Pour le MR, Caroline Taquin estime qu'il faut "ensembleavec transparence et rapidement, des solutions pour qu'un tel drame n'arrive plus jamais. Pour que la police est respectable et respectée. Si des dérapages individuels ont lieu, il faut les condamner. L'immense majorité font un travail incroyable dans des conditions difficiles. La plupart de nos policiers souffrent du discrédit jeté sur toute l'institution."

Zakia Khattabi, pour Ecolo, insiste sur ce suivi parlementaire ne fait que commencer : "Nous ne sommes qu'à une première étape. Les éléments apportés justifient l'audition des acteurs de l'époque. Il se suffit pas de rouler des mécaniques, de tenir des discours sécuritaire pour garantir la sécurité de nos citoyens. Le silence généralisé autour du salut nazi salit l'institution. Si je me réjouis de certaines responsables syndicaux qui ont condamné le geste, il a fallu attendre deux ans et demi pour que cette parole se tienne."

Le PTB, via un communiqué de Raoul Hedebouw, vise spécifiquement Jan Jambon : "C’est maintenant confirmé. Jan Jambon, ministre de l'Intérieur à l'époque, était manifestement au courant de l'incident. Nous devons savoir exactement ce qu'il savait. Qu’a-t-il fait à l’époque ? Comment se fait-il que l’affaire ait été occultée ? Pourquoi son porte-parole et Theo Francken (N-VA) ont-ils dit qu’ils n’étaient pas au courant des faits ? "

Pour la cdH Vanessa Matz, si les deux ministres ont apporté de la clarté dans ce dossier, elle se dit "complètement abasourdie. Si la police fédérale ne pouvait pas ne pas savoir, à aucun moment et de bonne foi, je ne voyais pas la raison pour laquelle Jan Jambon mentirait sur sa connaissance des faits. J'ai l'impression d'avoir fait peut-être preuve de très grande naiveté. Le fait qu'il soit au courant implique forcément d'autres actes. " 

Pour Défi, Sophie Rohonyi s'étonne du fait que la police ne savait pas pour les images. Le salut nazi figure-t-il dans les rapports, entre autres, du comité P ? "Pourquoi le ministre Jambon n'a pas jugé utile de transmettre au ministre De Crem ces faits qui méritent des mesures, un suivi ?" Ce qui justifie l'audition de l'ancien ministre Jambon.

 

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