Acheter des produits équitables: "Un engagement moral et un acte citoyen ou militant"

Accepter de payer un peu plus pour mieux rémunérer les producteurs

© CARL COURT - AFP

A l'occasion de la semaine du commerce équitable Jacques Defourny, directeur du Centre d’économie sociale de l’université de Liège, remarque que le Belge ne dépense en moyenne que 14 euros par an en produits équitables. 

"C'est assez peu et pourtant la notoriété du commerce équitable n’est plus à démontrer. La plupart des Belges, toutes les enquêtes le montrent, sont conscients de l’existence du commerce équitable. Il y a une vraie notoriété qui s’est installée, et pourtant les actes d’achats effectifs ne suivent pas tout à fait, c’est le moins qu’on puisse dire, parce que la démarche est exigeante. En tant que consommateurs, nous avons été éduqués, bercés par la recherche du prix le plus bas, ou en tout cas du rapport coût-bénéfice le plus avantageux."

"Le commerce équitable propose une démarche exigeante : accepter de payer un peu plus, en tout cas de ne pas chercher le moindre coût à tout prix, c’est le cas de le dire, parce que cela permet de mieux rémunérer des producteurs au Sud. Donc il y a une sorte de sacrifice, ou d’engagement moral, d’acte citoyen ou militant, qui accompagne l’achat de biens équitables, et cela n’est pas encore suffisamment dans les mentalités parce qu’on est à contre-courant des tendances profondes de la concurrence ou de la mondialisation".

Le commerce équitable ne pâtit-il pas aussi, d’une certaine manière, du succès du bio, et surtout du succès du 'consommer local', du circuit court ?

"C’est évident qu’aujourd’hui le commerce équitable fait partie de cette vaste nébuleuse de pratiques alternatives au capitalisme pur et dur. Il y a une différence assez frappante, ou qui ne saute pas aux yeux mais qui est majeure, entre les biens du commerce équitable et, par exemple, le bio ou les productions locales, les circuits courts." "

C’est que le commerce équitable porte sur des biens matériels et il y a une autre composante qui est de type citoyen, moral, pour mieux rémunérer des producteurs. Du côté du bio, vous avez aussi un bien, un produit, vous avez aussi une sorte d’engagement moral pour soutenir une agriculture raisonnée ou raisonnable, paysanne. Mais avec le bio, vous avez un impact sur votre santé qui fait que vous décidez beaucoup plus vite pour ce genre de produits parce que le bénéfice que vous en retirez est beaucoup plus évident, beaucoup plus proche des intérêts propres du consommateur. Et là, c’est une troisième composante que n’a pas le commerce équitable".

Peut-on faire confiance à tous les labels commerce équitable?

"Le commerce équitable est une longue pratique qui remonte aux années 1960-1970. Cela s’est structuré de plus en plus. C’est exigeant d’être dans le circuit du commerce équitable et je pense qu’on peut avoir une large confiance dans les labels traditionnels : Max Havelaar, Fair Trade et autres. Je ne crois pas que ce soit sur cet axe-là qu’il y ait tellement de progrès à faire".

Ces labels garantissent-ils toute la chaîne qui amène le produit jusque dans les rayons de nos magasins ?

"Ce n’est pas évident d’avoir des filières totalement intégrées, et pourtant c’est vers cela que l’on tend, parce que quand on dit déjà à la base qu’on veut un revenu plus décent pour l’agriculteur, la plupart du temps ces agriculteurs se mettent en coopérative pour engendrer des modes de gouvernance participatifs, où tous profitent et participent à la décision. Alors, parfois, dans les acheminements à travers l’océan, ce n’est pas toujours des modalités aussi alternatives, mais le souci du commerce équitable c’est de fait de garder une éthique tout au long de la filière".

Les Suisses consomment 5 fois plus de commerce équitable que les Belges. Que faut-il faire pour augmenter cette consommation ?

"Je pense que quelque part le commerce équitable doit être vu dans cette nébuleuse de recherche de pratiques alternatives à la grande distribution, à la mondialisation, à la concurrence effrénée. Il faut que le commerce équitable garde sa spécificité, mais se présente de plus en plus comme extrêmement moderne, même s’il est peut-être le précurseur le plus ancien. Faire des alliances, par exemple, avec les filières bio, avec les filières locales, même si évidemment parfois les produits viennent de loin. Je crois qu’il faut sortir de la niche purement commerce équitable pour faire alliance avec tous les citoyens qui essayent de 'ré-humaniser' l’économie, de la relocaliser, de la 're-fournir' en termes de contenu éthique et d’interrogations à l’égard de ce capitalisme, dont on sent qu’il est de plus en plus absurde, qu’il conduit à des impasses, que la planète est en danger. Il faut que les citoyens se saisissent de l’ensemble de la palette des pratiques alternatives".

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