Séisme en Turquie et en Syrie

Acheminer l’aide humanitaire en Syrie après le séisme : le casse-tête devenu course contre la montre

Séisme en Syrie : le pays privé d'aide internationale (interview sur Radio France de Hakim Kaldé, MSF - JP La Première du 13/02/23)

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Par Catherine Tonero

Comment acheminer l’aide humanitaire en Syrie ? La question est épineuse dans un pays paria aux yeux de la communauté internationale pressée de lui venir en aide. Après douze ans de guerre civile, le territoire syrien est en effet partagé entre différents pouvoirs. Les zones touchées par le séisme sont surtout contrôlées par le gouvernement syrien et les rebelles jihadistes, dont les territoires sont presque coupés du monde.

Une zone d’ombre d’un point de vue légal et diplomatique.

De nombreux pays ont promis de secourir les victimes syriennes, sans pour autant dépêcher immédiatement les secours en raison des difficultés logistiques dans un pays en guerre. "La Syrie reste une zone d’ombre d’un point de vue légal et diplomatique", témoigne Marc Schakal, le responsable du programme Syrie de Médecins sans Frontières, exhortant à acheminer l’aide "au plus vite".

Il redoute que les ONG locales et internationales ne soient dépassées dans un pays ravagé par plus d’une décennie de guerre civile, opposant rebelles, dont certains sont instrumentalisés par des puissances étrangères, jihadistes, Forces démocratiques syriennes (à prédominance kurde) et armée du gouvernement de Bachar al-Assad, soutenu par l’Iran et la Russie.

90% de Syriens sous le seuil de pauvreté

Selon l’UNHCR, l’agence de l’ONU en charge des réfugiés, 15,3 millions de personnes étaient déjà dépendantes de l’aide humanitaire en Syrie avant le tremblement de terre. La situation est particulièrement dramatique dans la zone d’Idleb, à l’accès très compliqué, dans le nord-ouest du pays. C’est le dernier grand bastion des rebelles et des jihadistes, comptant près de cinq millions de personnes.

Les organisations humanitaires présentes dans la région, comme Médecins Sans Frontières, prennent actuellement en charge des patients ou font don de kits médicaux d’urgence aux hôpitaux. Marie-Christine Férir, membre de l’unité d’urgence de MSF Belgique, témoigne d’une situation catastrophique dans le nord de la Syrie :

© AFP or licensors

L’accès au territoire rebelle, déjà compliqué en temps normal, l’est encore plus aujourd’hui.

"Nos équipes soutiennent plus de 23 structures de santé, déjà fragilisées par des années de guerre. Mais l’accès au territoire rebelle, déjà compliqué en temps normal, l’est encore plus aujourd’hui. Or, les premiers jours sont cruciaux pour retrouver des survivants […] De plus, les routes sont coupées, les aéroports ne fonctionnent plus, le matériel est lui aussi compliqué à acheminer, il y a donc énormément de contraintes et chaque minute compte", explique-t-elle.

Dans la région d’Idleb, la quasi-totalité de l’aide humanitaire est acheminée depuis la Turquie par un unique point de passage désormais : Bab al-Hawa, contesté par Damas et Moscou qui dénoncent une violation de la souveraineté syrienne. Ce point de passage, relevant du mécanisme transfrontalier créé en 2014 par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, est actuellement maintenu jusqu’au 10 juillet. Il a lui-même été touché par le séisme, compromettant une opération humanitaire transfrontalière déjà difficile.

Rouvrir tous les points de passage ?

Sous la pression de la Russie et de la Chine, les trois autres points de passage ont été supprimés. Depuis lundi, Berlin est sorti de sa réserve pour demander leur réouverture. "Tous les acteurs internationaux, y compris la Russie, devraient user de leur influence sur le régime syrien pour que l’aide humanitaire aux victimes puisse arriver", a déclaré la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock.

La France semble plus sur la réserve, "gênée aux entournures" d’aller dans un pays où elle ne reconnaît pas la légitimité du régime, selon Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité.

Interrogé sur l’éventuelle ouverture de nouveaux points de passage pour faire face aux conséquences du séisme, l’ambassadeur syrien aux Nations unies a semblé en rejeter l’idée ce lundi. S’il a promis que l’aide serait acheminée "à tous les Syriens", il a aussi évoqué les accès "depuis la Syrie", rejetant de fait l’ouverture de couloirs indépendants depuis la Turquie. Pour l’heure, les experts doutent donc de la possibilité que ces points de passage puissent être rouverts

Suspension des sanctions ?

Par ailleurs, acheminer de l’aide à partir du territoire syrien contrôlé par Damas est non seulement épineux diplomatiquement, mais cela suppose aussi que le régime consente à la transmettre aux populations de la zone rebelle et que les belligérants s’accordent sur sa distribution.

Outre l’ouverture de nouveaux points de passage, des voix s’élèvent, comme celles de la communauté catholique de Sant’Egidio ou le Croissant-rouge syrien, pour suspendre les sanctions imposées depuis 2011 au régime de Bachar al-Assad et permettre à l’aide d’arriver plus rapidement.

Dépolitiser l’aide humanitaire.

Dans le journal Le Soir, le spécialiste de la Syrie Yahia Hakoum avance, lui, l’idée d’un pont aérien : "Il faudrait faire un pont aérien pour acheminer par les airs tout ce qu’il est possible. Il ne faut pas attendre de passer par tel ou tel organisme, que ce soit du côté du régime ou du côté de la Turquie. Il faut trouver directement les populations. On l’a fait au Soudan, on peut le faire en Syrie. C’est l’occasion de dépolitiser l’aide humanitaire en Syrie".

Ce 7 février, le porte-parole du Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l’ONU, allait dans le même sens : "Il est impératif que tout le monde considère cette situation […] pour ce qu’elle est, une crise humanitaire où des vies sont en jeu. S’il vous plaît, ne la politisez pas."

La situation est d’autant plus urgente que les conditions météorologiques hivernales sont particulièrement difficiles et menacent les rescapés dorénavant privés d’abri. "Cette catastrophe arrive dans des conditions déjà catastrophiques, écrit sur Twitter les Casques Blancs, les secouristes des zones rebelles en Syrie. Le peuple syrien est à sa limite. Des centaines de morts/blessés, des centaines encore piégées sous les décombres, suffoquant et ayant besoin d’aide. Les équipes d’intervention sont dispersées. Nous avons besoin que la communauté internationale prenne des mesures urgentes." Chaque minute compte.

Extrait du JT du 08/02/2023 :

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