À trois mois de l’élection présidentielle française : Éric Zemmour et les médias

A trois mois de l’élection présidentielle en France : Éric Zemmour, la France et les médias

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Par Africa Gordillo

En France, Éric Zemmour a réussi à imposer ses idées d’extrême droite et ses contre-vérités à l’agenda des Français, même si son premier meeting de candidat à l’élection présidentielle n’a rassemblé "que" 11.000 personnes à Villepinte début décembre (plus de 15.000 étaient attendues). Villepinte ou le résultat d’une montée en puissance à l’œuvre depuis plusieurs années dans laquelle certains médias français ont joué un rôle non négligeable… mais ils ne sont pas les seuls.

Tribune médiatique

Bien avant le 5 décembre, date de son premier meeting émaillé de violences contre des militants antiracistes et des journalistes, Éric Zemmour occupait une bonne place dans les médias. Le chargé de cours en cinéma documentaire et littératie médiatique de l’ULiège, Jérémy Hamers, distingue trois types de rapports différents entre le candidat à la présidentielle et les médias : l’homme devient d’abord célèbre comme chroniqueur et journaliste en presse écrite (Le Figaro et Le Figaro Magazine, ndlr), ensuite en télévision. Éric Zemmour est ensuite "chroniqué" en tant qu’invité dans différentes émissions. Il apparaît enfin comme presque candidat ou comme candidat à l’élection présidentielle depuis le 5 décembre dernier.

"Éric Zemmour a bénéficié de véritables tribunes alors qu’il n’était pas encore candidat. Ces invitations ont bien sûr profité à l’homme politique en devenir, mais ses déclarations très clivantes ont également profité aux médias puisque Zemmour fait de l’audience, comme il l’avait déjà démontré en tant que chroniqueur".

Une caisse de résonance

Eric Zemmour répond à un doigt d'honneur...par un doigt d'honneur, le 27 novembre 2021. Une image largement diffusée.

Un avis partagé par la spécialiste des discours sur les réseaux et professeure au département des sciences de l’information et de la communication de l’ULB, Laura Calabrese. Elle estime que "s’il utilise bien les médias, on ne peut pas nier que certains médias l’utilisent pour faire de l’audience, notamment la télévision spectacle pour laquelle toutes les voix ont le même poids, celle d’un historien et celle d’un négationniste de l’histoire. Le message qui passe à ce moment-là est que tout peut être dit si on le dit avec certitude".

La télévision a fonctionné comme une véritable caisse de résonance pour Éric Zemmour avec ses interventions dans les cinq premières saisons de l’émission de Laurent Ruquier "On n’est pas couché" sur France 2 (de 2006 à 2011). Plus récemment, il devient le principal chroniqueur de Face à l’Info, en première partie de soirée, sur la chaîne d’information en continu CNews (ancienne I-Télé), la chaîne de Vincent Bolloré où l’émission bat des records d’audience (jusqu’à 852.000 téléspectateurs en moyenne et un pic à 1.140.000 de téléspectateurs).

Couper la source de diffusion ne suffit pas

Mais les médias ont-ils créé Éric Zemmour ? Ou doit-on dire plutôt qu’il s’est forgé tout seul en utilisant les médias ? "Ni l’un ni l’autre !", affirme Laura Calabrese. "Au-delà des médias, il faut constater que les moments où les idées extrêmes se diffusent sont des moments de grande frustration où il y existe un terreau favorable. C’est une erreur de considérer la question comme un problème purement médiatique : un discours venant de nulle part qui se diffuserait par les médias de masse auprès d’un public neutre. Ce genre d’analyses conduit à penser qu’il suffit de couper la source de la diffusion pour empêcher le discours de se propager ou de lui opposer des contre-discours, alors que les causes expliquant son existence sont toujours là".


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Des causes multiples au rang desquelles on compte le choc et l’instabilité provoqués par les attentats de Paris et les attaques qui ont suivi, la présence de migrants cherchant l’asile ou de passage en France, les difficultés socio-économiques, la gestion de la pandémie et la difficile recomposition du paysage politique français en ce début de millénaire.

"L’identité de la France"

Dans ce contexte, Éric Zemmour déploie sa grille de lecture comme la théorie du "grand remplacement" dont la paternité revient à l’écrivain français Renaud Camus, théorie raciste selon laquelle un processus de substitution de la population française par la population non européenne est à l’œuvre et soutenue par une élite. Ce processus – qui mènerait à un changement de civilisation en Europe – est une référence pour les complotistes et l’extrême droite.

Dans son dernier essai La France n’a pas dit son dernier mot, Éric Zemmour n’y va pas de main morte : "Aucune petite bourgade, aucun petit village de France n’est plus à l’abri d’une équipée sauvage d’une bande de Tchétchènes, ou de Kosovars, ou de Maghrébins ou d’Africains qui volent, violent, pillent, torturent, tuent". Ce n’est là qu’une phrase parmi tant d’autres phrases clivantes ainsi assénées.

Interrogé le 6 janvier dernier sur Europe 1 à propos du discours radical d’Emmanuel Macron à propos des antivax, Éric Zemmour déclare que "le clivage c’est la politique". Il poursuit : "Je ne fais pas du Covid le débat de la présidentielle (comme Macron, ndlr), le débat de la présidentielle, c’est l’identité de la France".

"Un propagandiste des années 30"

L’obsession des étrangers, des musulmans et les infox constituent la trame de la campagne du candidat d’extrême droite. Dernièrement encore, Éric Zemmour affirmait que le maréchal Pétain "avait protégé les juifs français et donné les juifs étrangers" pendant la deuxième guerre mondiale. Pour l’écrivain Antoine Vitkine, qui s’exprimait dans le journal Le Monde, le 25 octobre dernier, "Éric Zemmour exploite le sentiment de honte né à Vichy au profit d’une pensée réactionnaire et xénophobe".

"Au-delà de son utilisation des médias, ce qu’on peut dire du discours zemmourien est qu’il verse ouvertement dans la propagande", analyse la spécialiste des discours sur les réseaux de l’ULB, Laura Calabrese. "Plus qu’à un télévangéliste, je l’assimilerais à un propagandiste des années 30, car c’est par la répétition qu’il réussit à imposer des idées qui n’ont aucun fondement (par exemple, le fait que Pétain a sauvé des juifs français) ou qui répondent à des craintes de la population (l’immigration, l’insécurité, le déclin de la France)".

Liberté, égalité, diversité

À tout juste trois mois du premier tour de l’élection présidentielle française (10 avril), les idées d’Éric Zemmour font mouche auprès de 13,5% des électeurs, selon le sondage IFOP réalisé du 3 au 5 janvier auprès de 1332 personnes. Le candidat d’extrême droite arrive derrière l’actuel président Emmanuel Macron (27%, la République en Marche), Valérie Pécresse (Les Républicains) et Marine Le Pen (Rassemblement National) avec chacune 16% des intentions de vote. Les candidats de gauche sont loin derrière.

Ce coup de sonde et la place que l’extrême droite y occupe à travers les candidatures de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour interrogent aussi les médias sur la manière dont ils ont traité ou traitent l’actualité de ces candidats et leurs idées.

Pour Jérémie Hamers, "une des manières de combattre l’extrême droite dans sa version 'zemmourienne', basée sur un ensemble de non-raisonnements, de faux raisonnements ou de raisonnements simplistes, consisterait en une réintroduction du vrai échange et du vrai débat dans les médias." Il s’agit aussi de ne pas se laisser enfermer par le calendrier électoral et la rhétorique d’un candidat, surtout s’il est d’extrême droite, déconstruire ses propos et ouvrir le champ de la diversité.

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