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À l’Université, combien de femmes devront encore souffrir et être réduites au silence ?

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Par Le collectif BIND, une carte blanche pour Les Grenades

Ces dernières semaines, les titres des médias flamands ont rappelé la réalité du harcèlement sexuel dans les institutions universitaires et, une fois de plus, tout le monde a fait semblant d’être choqué·e.

La VUB a licencié un de ses enseignants accusé de comportements inappropriés par 23 femmes de son université, dont beaucoup de doctorantes. Depuis, des faits similaires ont été rapportés à l’Université de Gand, à l’hôpital universitaire d’Anvers, à la Katholieke Universiteit Leuven et à l’Université d’Hasselt.

Dans tous ces cas, à l’exception du dernier, des défaillances dans le suivi institutionnel ont été rapportés. Pourtant, toutes ces universités disposaient de mécanismes de lutte contre les harcèlements moral et sexuel. Ce constat pose des questions importantes pour les universités et montrent les limites des initiatives actuelles.

En effet, comment sommes-nous arrivé·es à (au moins) 23 femmes avant que les autorités universitaires ne prennent les mesures adéquates ? Comment les procédures et dispositifs en place ont-elles pu se révéler aussi violentes pour des femmes qui avaient besoin d'être prises en charge après avoir été si gravement atteintes (et qui ne cherchaient qu'à s'informer sur les démarches à suivre) ? Pourquoi l’Université, à l’instar de l’Église qui est une institution tout aussi hiérarchisée, n’assume-t-elle pas l'entière responsabilité des personnes qu'elle n'a pas su protéger ? Combien de temps devrons-nous encore jouer à ce jeu de l'innocence et du déni avant qu’un changement structurel ne se produise ? Combien de femmes devront encore souffrir et être réduites au silence ?

Abus de pouvoir

De nombreuses recherches existent au sujet du harcèlement sexuel à l’université. Nous savons qu’il s'agit d’un lieu imprégné de relations de pouvoir et que les abus de pouvoir y restent nombreux. Alors pourquoi ce fait est-il continuellement nié ? Sans changement des structures, le problème persistera.

Or, il existe des moyens évidents d'y parvenir : créer une structure plus horizontale entre les membres du personnel, avec moins de précarité et beaucoup plus de contrôles et d'équilibre ; créer une structure plus transparente au niveau des procédures et de la communication lors du traitement des affaires de harcèlement, plus particulièrement vis-à-vis des victimes et survivantes de tels actes.

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Rappelons-le, l'argument de la "vie privée", souvent entendu ces derniers jours, est censé protéger les victimes, pas les auteur·es. Taire les noms des victimes privées est un droit, mais faut-il pour autant taire le nom des auteur·es quand les faits sont avérés ? Ne faut-il pas demander des comptes voire sanctionner ceux et celles qui savaient ce qui se passait, qui n’avaient pas à craindre de représailles et qui n’ont pourtant rien dit ?

Pourquoi a-t-il fallu que 23 femmes soient abîmées pour que les autorités universitaires soient prêtes à renvoyer un professeur masculin ?

Nous pensons que les universités doivent instaurer des politiques de tolérance zéro pour toutes les formes de harcèlement, tout comme elles le font déjà pour les manquements à l'intégrité académique. Avoir des relations sexuelles avec un·e étudiant·e ou une doctorant·e et utiliser la menace et la contrainte pour y parvenir, dans un rapport de force profondément inégal, est bien plus dommageable que de ne pas citer une référence. Il s’agit d’un manquement grave, tant moral que professionnel, à l’intégrité académique.

Le silence est une violence

Les recherches montrent aussi, tout comme les témoignages des nombreuses victimes courageuses qui osent s'exprimer, que le silence est une violence et peut conduire à la honte et à l'automutilation. Il peut conduire et a conduit tant de personnes, tant de femmes, à quitter l'université et à renoncer à leurs rêves. Nous ne comprenons pas pourquoi les universités – et celles et ceux qui y travaillent et qui ont le pouvoir de changer la situation – continuent à se bercer d'illusions en pensant qu’instaurer un silence soi-disant respectueux des un·es et des autres peut faire partie du processus de guérison.

Certes, les universités ne sont pas des "tribunaux" (qui d'ailleurs ne sont pas beaucoup plus efficaces pour rendre justice aux victimes de harcèlement sexuel) mais elles sont censées être des lieux de tolérance et de respect de la l’intégrité de chacun·e.

Dans l’affaire de la VUB, à laquelle ressemblent celles rapportées dans les autres universités flamandes, il y a des auteur·es, ici un professeur masculin, et des victimes, ici 23 femmes. Pourquoi a-t-on l’impression que l’université s'inquiète davantage de traiter équitablement l’auteur des faits que de se soucier des victimes ?

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Pourquoi celui-ci mérite-t-il une "autre chance" lorsqu’il s’y est repris à 23 fois ? Chacune de ces femmes a-t-elle reçu une autre chance d’obtenir son diplôme, une bourse, un doctorat, un emploi, et de se sentir en sécurité lorsqu’elle interagit avec des hommes qui sont ses supérieurs (ce qui, dans notre société, signifie pratiquement partout) ? Pourquoi a-t-il fallu que 23 femmes soient abîmées pour que les autorités universitaires soient prêtes à renvoyer un professeur masculin ? Comment le voix des femmes peuvent-elles être aussi marginalisées dans une société qui se dit égalitaire ? Et maintenant que cet homme a été licencié et qu'on a demandé aux victimes de respecter sa vie privée, pourquoi l’université ne fait-elle pas plus pour soutenir les victimes ?

On pourrait envisager des excuses publiques où l’université prend ses responsabilités plutôt que de se soucier de sa réputation et des sentiments de l’auteur·e de l’agression. Toutefois, plus que des excuses, les victimes méritent des remerciements publics – ces femmes ont risqué leur réputation pour faire de l’université un lieu plus sûr pour tout le monde.

Elles méritent au moins 23 "secondes" chances de réaliser leurs rêves éducatifs. Et, puisque cela n'est plus réaliste étant donné que ces faits de harcèlement sexuel se produisent depuis plus de dix ans, alors offrez-leur au moins un soutien psychologique… Pour guérir à la fois de l’agression perpétrée par ce professeur et de l’attitude adoptée par les autorités universitaires qui évitent de prendre leur responsabilité en réduisant ces femmes au silence.

L’université n’a pas pu offrir à ces 23 femmes (et à beaucoup d’autres) un endroit sûr pour étudier et semble avoir, au contraire, donné le pouvoir et la protection nécessaires à l’auteur pour commettre (au moins) 23 actes de harcèlement sexuel.

Plus que des excuses, les victimes méritent des remerciements publics – ces femmes ont risqué leur réputation pour faire de l’université un lieu plus sûr pour tout le monde.

Il est temps que l'université assume ses responsabilités en la matière et cesse de demander aux victimes d’effectuer le "travail". Les victimes ne sont pas responsables de ce qui leur a été imposé et la vie a déjà été assez injuste avec elles.

C'est à nous, celles et ceux qui travaillons à l’université et en dehors de celle-ci, d'apprendre à entendre et à répondre aux plaintes correctement et rapidement. Avant toute chose, c'est à nous, et non à elles, d’empêcher que ces actes ne se reproduisent alors que nous savons pertinemment qu’ils arrivent tous les jours. Refusons de faire semblant et ne soyons plus étonné·es quand, dans quelques mois, de nouveaux titres du genre surgiront dans la presse. C’est le minimum que nous puissions faire pour remercier ces femmes courageuses d'avoir levé la voix et ouvert la voie.  


Collectif BIND

BIND (Belgian Interuniversity Network for Diversity & Decolonization) est un groupe d’académiques et de chercheur·ses des deux côtés de la frontière linguistique réuni·es pour construire une université plus inclusive et moins inégalitaire.


Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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