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À Louvain-la-Neuve, l’histoire d’une sororité étudiante

© Getty Images

Par Camille Banse*, une chronique pour Les Grenades

Cet article est le résumé d’un mémoire, ce travail de recherche universitaire est publié en partenariat avec le master Genre.

Depuis l’avènement du mouvement #Metoo, les guindailles étudiantes ont, elles aussi, connu un vent de libération de la parole. En mars 2021, le collectif La Meute relayait des centaines de témoignages de violences sexuelles sur sa page Instagram. Malgré une domination numérique des femmes dans les auditoires, les traditions estudiantines font perdurer une certaine culture de la domination masculine. De la même manière, alors que la mixité scolaire est devenue la norme, la séparation sexuée n’a pas totalement disparu.

Si vous vous êtes déjà baladé·e dans les rues de Louvain-la-Neuve le vendredi soir, avez-vous déjà aperçu des étudiant·es dans d’étranges toges colorées se rassembler sans aucun but apparent ? Si oui, quel lien avec le #MeToo estudiantin ?

Il s’agit de fraternités étudiantes, appelées "ordres" en Belgique. Bien qu’inconnus du grand public, les ordres sont le ciment du folklore néolouvaniste. Ils rassemblent leurs membres autour d’un projet ou d’une origine commune pour des séances mensuelles. Discrets voire secrets, les ordres font partie d’une subculture spécifique avec ses codes, ses règles, son imaginaire, ses rituels, ses narrations en quasi-stricte oralité, ses attributs visibles ou invisibles. Ils sont aussi des lieux de sociabilité intense… et parfois interdits aux femmes. Les ordres belges sont issus des corporations allemandes du 18e siècle. En cela, ils sont héritiers d’une tradition sexiste.

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Mais en suivant les traces du premier ordre exclusivement féminin du campus, on peut mieux comprendre comment des femmes ont pu "troubler" le folklore estudiantin, au sens de la philosophesse Judith Butler. En trente ans, la "FAMA" a compté près de deux-cents étudiantes. Cette microsociété féminine proclame l’entre-soi féminin comme une fin en soi. En ce sens, elle offre aussi une focale sur notre société.

Une sororité étudiante dès 1988 ?

Louvain-la-Neuve, années 1980. Voilà soixante ans que les femmes sont admises à l’université, mais elles semblent longtemps tenues à l’écart des guindailles des garçons. Les associations étudiantes renaissent tout juste après avoir souffert du Walen Buiten.

Certaines filles participent timidement à leurs animations (concours, activités bibitives, soutien pour les cours, réunions). Si petit à petit elles s’insèrent dans les comités d’organisation, leurs assignations restent strictement liées à des tâches domestiques, couturières par exemple. Le tournant a lieu en 1986 quand quelques prisonnières atteignent des "hauts postes" de comité. L’idée de la fondation d’un ordre strictement féminin vient des frustrations vécues par ces filles, entre remarques incessantes et hostilité à leur insertion dans les associations souvent très masculines :

On voulait vraiment, vraiment, pas de nous : "pas de mijole en guindaille" qu’ils disaient. Il était tout à fait hors de question pour eux d’accepter que les filles rentrent dans les ordres.

En 1988, quelques-unes décident de faire un pied de nez à cette résistance en créant un espace fait par et pour les femmes. Pour faire face aux violences de genre qu’elles subissent, les FAMA ont construit un espace de non-mixité choisie avant le terme. Elles bataillent depuis trente ans pour adopter certaines attitudes viriles mais aussi pour se rapproprier le système avec leurs propres codes, souvent une mise en scène théâtrale de féminisation.

À titre d’exemple, le nom "FAMA" a été choisi pour deux raisons : la marque de margarine et le nom d’une divinité romaine aux trompettes de la rumeur et de la renommée. C’est bien connu : les femmes cuisinent et colportent des ragots. Le nom même de l’ordre est un pied de nez aux stéréotypes de genre :

Au-delà de l’humour, c’est montrer par l’absurde à quel point certaines de ces normes ou de ces idées et stéréotypes sont ridicules.

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Subvertir le système par la farce

Sans jamais se revendiquer comme une association féministe, les femmes qui se sont succédé à la FAMA ont su s’imposer. Elles ont contourné les règles, se sont engouffrées dans les interstices. Au final, elles ont parodié le sexisme latent de la guindaille louvaniste au même titre que le drag subversif de Butler.

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Dans le contexte très particulier propre au folklore estudiantin et de féminisation sur le site de Louvain-la-Neuve, la FAMA a été un lieu de mise en place de négociation de la place des femmes. Une petite niche d’émancipation dans l’histoire estudiantine belge, mais dont les exemples se multiplient partout.

Dans les universités francophones, de nombreux ordres exclusivement féminins voient le jour et les associations étudiantes sont – presque toutes – accessibles aux étudiantes. Peut-être les récents bouleversements de #MeToo concrétiseront-ils les avancées des trente dernières années et mèneront à une égalité de fait à tous niveaux.

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*Camille Banse est actuellement doctorante en histoire religieuse des sexualités à l’Université catholique de Louvain. Après avoir passé des années à Louvain-la-Neuve (autant le jour que la nuit), elle a complété sa formation par le master de spécialisation en études de genre en 2020.

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