Les médecins pratiquant·es héritent de cette idéologie. Tout en essayant de s’en libérer. La tension entre les deux est souvent palpable dans leurs discours. Certains points clivants, comme les IVG plurielles, peuvent mettre les médecins mal à l’aise. Une généraliste confirme : "Il y a des cas parfois un peu plus extrêmes avec des patientes qui ont déjà fait 7, 8 interruptions, et là c’est vrai qu’on se pose peut-être plus de questions…". Pour un autre, "la difficulté consiste à trouver le juste milieu entre un accompagnement humain et un refus de demander des justifications".
Difficile parfois de faire coïncider sensibilité et obligations légales. La contraception des femmes qui souhaitent avorter, par exemple, doit selon la loi être questionnée par le ou la médecin. Certain·es s’y conforment spontanément : "On aime bien mettre une pilule en route si c’est possible". Un autre médecin estime que le sujet de la contraception "devrait prendre vraiment beaucoup de place, et plus de place" dans la prise en charge.
Or, ce n’est pas parce que la contraception est davantage promue, accessible et utilisée que le taux d’avortement régresse. Les études féministes ont montré qu’il s’agit d’un préjugé qui ne correspond ni à la réalité statistique ni à la vie des femmes. En Belgique, 58% des grossesses non prévues surviennent chez des femmes utilisant déjà une contraception.
L’avortement doit être reconnu comme un acte médical comme un autre, un besoin de santé publique.
À d’autres endroits, les médecins interrogé·es sortent largement du cadre de surveillance qui leur est imposé. La plupart mettent par exemple en place des stratégies pour contourner le délai de six jours, "dit de réflexion", entre la première consultation et l’interruption de grossesse. Car la mesure est, dans tous les cas, jugée infantilisante. "Les femmes, quand elles viennent et qu’elles ont pris rendez-vous, elles n’ont pas découvert la grossesse une demi-heure plus tôt : on ne doit pas décider à leur place que six jours plus tard, elles auront réfléchi", appuie cette généraliste.
Ainsi, les médecins interrogé·es privilégient un accompagnement bienveillant. C’est l’idée du "devoir de médecin", un engagement fort qui préexiste souvent à leur pratique de l’IVG. C’est aussi un pied de nez au paternalisme et aux risques de sanctions pénales. Qui, rappelons-le, peuvent toujours aller jusqu’à des peines de prison.