Depuis plusieurs semaines, de grands groupes de migrants centraméricains franchissent le pont qui relie la ville d’El Paso, au Texas, à Ciudad Juárez, au Mexique. Ils arrivent, l’air hagard, tenant leurs enfants dans les bras ou par la main, sans savoir où aller.
Ce sont des expulsions qui ne disent pas leur nom : personne, côté américain, ne les a prévenus qu’ils étaient renvoyés au Mexique. Déboussolés, certains ne comprennent pas ce qui leur arrive et ignorent même dans quel pays ils se trouvent.
"Ils nous ont fait monter dans un avion, ils nous ont dit qu’ils nous transféraient dans un autre centre aux Etats-Unis et que nous pourrions demander l’asile", témoigne Delmi, une jeune Salvadorienne qui craignait pour sa vie dans son pays.
J’ai demandé aux gardes s’ils nous expulsaient et ils m’ont assuré que ce n’était pas le cas
Elle vient de passer trois jours dans un centre de détention aux Etats-Unis avec sa fille de 5 ans. Toutes deux avaient traversé la frontière par le fleuve, le Rio Bravo. "J’ai demandé aux gardes s’ils nous expulsaient et ils m’ont assuré que ce n’était pas le cas, ils m’ont dit que personne ne serait expulsé au Mexique."
Ce jour-là, Delmi a suivi le groupe en toute confiance, s’apprêtant à plaider sa cause pour obtenir l’asile aux Etats-Unis. "Nous sommes arrivés au pont et ils nous ont dit de marcher. Alors nous avons marché, sans savoir. Tout à coup… ce fut très brutal, je ne pouvais pas y croire… J’ai vu le mur en contrebas, le mur qui sépare les deux pays". À ce moment-là, Delmi a compris. "Ils nous ont jetés de l’autre côté du mur", se désole-t-elle.
Expulsions expéditives pour cause d’urgence sanitaire
"Ces méthodes nous laissent sans voix", critique Victor Flores, psychologue au sein de l’organisation catholique d’aide aux demandeurs d’asile Clinic. "Ils les expulsent en les trompant, en leur faisant croire qu’ils entament une procédure d’asile".
Les politiques d’expulsions des autorités américaines provoquent des scènes déchirantes côté mexicain. En majorité, ces Centraméricains affirment avoir fui leur pays pour échapper à la violence. Ils se sont empressés de traverser le Mexique, bercés par la fausse idée que Joe Biden avait "ouvert la frontière aux migrants".
Or, la pandémie de Covid-19 a érigé un nouveau mur sur la route des migrants. En effet, les Etats-Unis appliquent depuis mars 2020 une mesure exceptionnelle, le dénommé Title 42, qui permet de réaliser des expulsions expéditives pour cause d’urgence sanitaire, sans offrir aux personnes la possibilité de demander l’asile.