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750 euros d'amende pour un cours de pilates en "extérieur"… l'esprit ou la lettre?

Par Samuël Grulois

Le 19 mars dernier, au tout début du confinement, nous vous avions proposé l’interview d’Axel Debruycker, le gérant de la salle de fitness " Le Spatio ", à Tournai. Il nous expliquait sa tristesse de devoir fermer son infrastructure tout en envisageant de donner des cours à distance via les réseaux sociaux. L’opération a d’ailleurs très bien fonctionné. 

Puis, lors de l’ouverture de la " phase 2 " du plan de déconfinement, annoncée à l’issue du Conseil National de Sécurité du 13 mai, Axel a décidé d’organiser des entraînements collectifs outdoor, avec maximum vingt participants, sur le parking jouxtant sa salle de sport. Un parking couvert par un toit mais totalement ouvert sur ses côtés. Cardio training, full body, pilates, zumba et même spinning… le succès a très vite été au rendez-vous !

Mais voilà, suite à une dénonciation (anonyme…), la police a débarqué ce mercredi soir en pleine séance de pilates et a mis l’entraîneur (750 euros) et les cinq participants (250 euros chacun) à l’amende, considérant qu’ils faisaient du sport en groupe à l’intérieur et non à l’extérieur. Il s’agit donc d’un problème d’interprétation, voire de définition : un terrain extérieur, c’est quoi ? Avec un mur, un toit, un portail… la perception peut changer d’une personne à l’autre. Bienvenue en absurdie ! Ou quand la lettre de la loi prend le dessus sur l’esprit…

A cinq jours seulement de la réouverture officielle de toutes les salles de fitness du pays, et alors que d’autres équipes de police avaient déjà effectué des contrôles sur place sans trouver quoique ce soit d‘anormal, doit-on parlé ici d’excès de zèle, d’incompréhension ou de… surréalisme à la belge ? 

Voici l’interview d’Axel Debruycker, un brin ironique, un brin dépité, un brin découragé.

Axel, nous réalisons donc votre interview sur le parking incriminé, le… lieu du crime !

" Exactement ! Nous sommes sur le parking où nous avons été verbalisés par la police pour un cours auquel ne participaient d’ailleurs que cinq personnes. La hauteur du toit est d’environ vingt-cinq mètres. Pour la superficie, on peut accueillir entre quarante et cinquante véhicules. L’espace est largement suffisant pour respecter la distanciation exigée dans les recommandations du mois de mai. "

Mais il y a donc une zone floue : est-on plutôt à l’intérieur ou bel et bien à l’extérieur ?

" Pour moi, on est à l’extérieur ! A l’intérieur, vous êtes entourés de murs avec un plafond sans circulation d’air. Ici, on est dehors et rien ne nous empêche de sortir du parking car tout est ouvert. A part le toit à une vingtaine de mètres de hauteur, et c’est la raison évoquée pour l’infraction, on est complètement à l’extérieur. "

Ça faisait deux semaines et demi qu’on donnait cours sur ce parking avec plusieurs visites de policiers, sans jamais le moindre souci. Quelle surprise dès lors pour les cinq adhérents et moi-même d’être verbalisés pendant notre entraînement. En plus, il s’agissait d’un cours de pilates, l’un des cours où l’on reste le plus sur place, avec très peu de mouvements…

Voici le "lieu du crime". A vous de juger: parking intérieur ou extérieur?

Pour bien visualiser, ce parking est un peu comme un marché couvert typique des petits villages que l’on visite pendant les vacances…

" C’est ça ! Si les gens ont besoin d’une image, c’est précisément ça, avec un toit mais rien autour. Nous sommes donc en extérieur malgré tout. Ça faisait deux semaines et demi qu’on donnait cours sur ce parking avec plusieurs visites de policiers, sans jamais le moindre souci. Quelle surprise dès lors pour les cinq adhérents et moi-même d’être verbalisés pendant notre entraînement. En plus, il s’agissait d’un cours de pilates, l’un des cours où l’on reste le plus sur place, avec très peu de mouvements… Les tapis étaient disposés en respectant les distances de sécurité et il n’y avait donc aucun risque par rapport aux consignes données. "

Que vous ont dit les policiers ? Comment vous ont-ils justifié cette mise à l’amende ?

" Ils nous ont expliqué qu’ils venaient nous verbaliser à cause d’une dénonciation. La dénonciation est considérée comme une plainte. Ils ont considéré qu’il y avait infraction à cause du plafond. Pour eux, il s’agit d’un parking couvert. Et dans les consignes du CNS, cette pratique est interdite. "

Aucun mur ne nous empêche de sortir. Il y a juste ce plafond vingt-cinq mètres au-dessus de nous. J’ai déjà plus de 20 000 vues avec cette vidéo ! Je ne pensais pas provoquer un tel buzz. Je voulais simplement montrer l’absurdité de la situation.

Il fait assez frais ce jeudi, on le sent d’ailleurs pendant l’interview, en plein courant d’air…

" Nous sommes complètement à l’air libre ! Si je reprends les termes du CNS du 13 mai, " cours extérieurs à l’air libre de maximum vingt personnes ", on est bien ici à l’air libre… Aucun mur ne nous empêche de sortir. Il y a juste ce plafond vingt-cinq mètres au-dessus de nous. Nous ne nous sommes jamais cachés de donner ces cours en extérieur. On a même fait de la publicité pour attirer les pratiquants qui en avaient le souhait. On n’est pas de mauvaise foi. Nous avons toujours fait ça sur le même parking, les passants nous voient depuis la rue… Quelle surprise d’avoir été sanctionnés ! "

Vous avez rapidement posté une petite vidéo sur les réseaux sociaux pour expliquer votre mésaventure. Et vous avez reçu non pas des dizaines, non pas des centaines, mais des milliers de réactions !

" J’ai déjà plus de 20 000 vues avec cette vidéo ! Je ne pensais pas provoquer un tel buzz en la postant sur la page de la salle de fitness. Je ressens une belle solidarité. De nombreux médias m’ont contacté. Beaucoup de gens partagent ma publication. Moi, je voulais simplement montrer l’absurdité de la situation. "

Deux heures avant la visite de la police mercredi, la Première Ministre Sophie Wilmès avait justement annoncé la réouverture des salles de sport dès lundi prochain !

" On était logiquement joyeux d’apprendre qu’on pourrait bientôt rouvrir. On en parlait avec les adhérents présents au cours de pilates et de nombreux autres avaient déjà réagi sur Facebook… avant cette fameuse amende, comme si on voulait nous couper l’herbe sous le pied. Ça contrebalance la joie ressentie lors de l’annonce de la Première Ministre. "

Pendant quasi trois mois, en tant que gérant, vous êtes resté sans aucune rentrée financière mais vous vous êtes accroché en maintenant en éveil les membres de votre club. Et là, bardaf…

" Nous avons toujours respecté les consignes de fermeture. Dès le premier jour du confinement, nous avons fermé le centre, pendant deux mois et demi donc. Nous n’avions que les cours en live via Facebook pour garder un contact avec nos membres. Et puis, il y a eu ces petits entraînements à l’extérieur pour relancer l’activité progressivement jusqu’à l’ouverture attendue le 8 juin. "

Votre situation peut être mise en parallèle avec d’autres disciplines. L’équitation par exemple où des chevaux et des cavaliers se retrouvent dans des manèges couverts mais… ouverts. Vous n’avez juste pas eu de chance ?

" Je ne sais pas si j’ai manqué de chance mais c’est clairement dû à cette dénonciation. Cette personne a probablement été offusquée en nous voyant faire du sport, peut-être frustrée de ne pouvoir reprendre sa propre activité sportive. Elle a voulu rendre justice elle-même. Je n’en veux pas à la Terre entière. Le dénonciateur a peut-être agi dans un but bienveillant en voulant protéger les gens… même si j’ai un peu de mal à y croire ! En tout cas, il n’a pas pensé aux conséquences (NDLR : financières) sur les sportifs présents et sur moi. "

C’est finalement… assez drôle : on attend les aides de l’État qui vient directement nous les reprendre dans nos poches ! Autant lui donner nous-mêmes directement les 5000 euros qu’il nous redonnera plus tard…

Axel Debruycker: "On attend les aides de l’État qui vient directement nous les reprendre dans nos poches ! Autant lui donner nous-mêmes directement les 5000 euros qu’il nous redonnera plus tard… »

Les cinq adhérents sanctionnés ont chacun écopé d’une amende de 250 euros. Comment ont-ils réagi ?

" Bien vis-à-vis de moi, moins bien vis-à-vis de la sanction ! Mais il y a un réel élan de solidarité. On s’est tout de suite dit qu’on n’allait pas se laisser faire et qu’on mènerait une action collective pour contester ces amendes. C’est finalement… assez drôle : on attend les aides de l’État qui vient directement nous les reprendre dans nos poches ! Autant lui donner nous-mêmes directement les 5000 euros qu’il nous redonnera plus tard… " 

Avez-vous essayé de "négocier" avec les inspecteurs de police ?

" Oui, je leur ai demandé de ne me sanctionner que d’un simple avertissement puisqu’on ne m’avait encore rien reproché jusqu’ici. Je leur ai également dit que je supprimerais tous les cours prévus sur ce parking si je suis effectivement reconnu en infraction. Mais ils m’ont répondu qu’ils ne pouvaient pas entrer en négociation parce qu’ils avaient été envoyés pour nous verbaliser suite à une dénonciation. C’était un ordre de leur hiérarchie sans négociation possible ! "

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