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75 ans de l’assassinat de Gandhi : que reste-t-il de la doctrine de la non-violence ?

L'invité dans l'actu: Matthieu DE NANTEUIL, sociologue

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Le 30 janvier 1948, le Mahatma Gandhi, une des figures les plus importantes du XXe siècle, était assassiné à Delhi. 75 ans plus tard, l’équipe de Matin Première revenait avec le sociologue Matthieu de Nanteuil sur la non-violence, ce type d’action bien spécifique qui a permis à l’Inde de Gandhi d’obtenir son indépendance.

Statue de Gandhi (1869-1948) en Inde
Statue de Gandhi (1869-1948) en Inde © Getty

L’agressivité de retour dans nos sociétés

Selon le sociologue et professeur à l’UCLouvain, on s’est, dans de nombreux cas actuels, éloignés de cette non-violence : "et pas simplement dans les zones de guerre. On en est aussi éloignés dans nos sociétés. On assiste aujourd’hui, sur la scène politique et sur la scène médiatique, à une recrudescence de l’agressivité. C’est inquiétant". Une vision "très militariste, belliqueuse de la vie en société" due notamment au contexte de la guerre revenue aux portes de l’Europe, de la montée des extrêmes en politique (extrémismes qui "ont toujours un lien particulier avec la violence"), et plus insidieusement dans la vie quotidienne, dans nos "relations ordinaires"… Cela peut s’expliquer par une peur de l’avenir qui touche de nombreuses personnes, des discours politiques aussi, parfois très brutaux…

 

le Mahatma Gandhi en 1930
le Mahatma Gandhi en 1930 © Tous droits réservés

Une non-violence à retrouver

Une situation inquiétante pour Matthieu de Nantueil, mais celui-ci de nuancer : "la non-violence n’a pas pour autant disparu. Je crois qu’elle est plus importante que jamais. Sans doute qu’on doit reprendre et retravailler sur une éthique de la non-violence adaptée au monde d’aujourd’hui. On n’est plus à l’époque de Gandhi, il faut le dire, il y a d’autres objectifs, d’autres difficultés et il faut pouvoir réactualiser tout ça".

C’est un combat qui engage tout l’être

 

Car la non-violence est loin d’être un aveu de faiblesse, pour le sociologue : "Le mot-clé pour décrire la non-violence est ' satyagraha ', ce qui veut dire que c’est une résistance passive, mais c’est une résistance. On peut le traduire par un combat, un combat non violent au service de la vérité. Dans la vision de Gandhi, on pourrait dire au service d’une juste cause. C’est un combat et c’est un combat qui engage tout l’être. Et là encore, les spécialistes le savent bien, ce n’est pas simplement un combat qui suppose une mobilisation des personnes, une mobilisation des corps, mais c’est aussi un combat qui suppose une mobilisation de l’esprit, qui suppose une sorte d’alignement avec soi, qui suppose une forme de conversion profonde à l’idéal d’une vie sans violence et c’est souvent un engagement qui peut se terminer par un séjour en prison, être condamné et parfois être réprimé. C’est donc un combat extrêmement valeureux, difficile et exigeant, mais qui me semble être un combat qui indique une voie pour l’avenir. C’est ça l’essentiel"

"Ouvrir une autre voie à côté de la reproduction continue de la violence"

Revenons sur la doctrine en tant que telle. Elle ne signifie pas que l’on vit dans un monde non-violent, mais bien que l’on veut délégitimer cette violence. "Ça peut même dire que la non-violence consiste à ne jamais se situer sur le même terrain que l’adversaire. À l’insulte, ne pas répondre par l’insulte. Aux armes, ne pas répondre par les armes. À l’agressivité ou à d’autres formes de violence, ne pas répondre de la même façon, se décaler et ouvrir une autre voie" explique Matthieu de Nantueil.

Ne jamais se situer sur le même terrain que l’adversaire

Quelles sont les actions actuelles relevant de la non-violence ?

Matthieu de Nanteuil

"La non-violence a affaire avec un combat, un combat au service d’une juste cause. Regardons ce qui se passe sur la question climatique. On voit bien qu’aujourd’hui, les jeunes, mais plus largement les ONG et tous ceux qui sont concernés par ces questions, se mobilisent fortement et se réclament d’une certaine façon de la non-violence. Pas tous, mais une grande partie d’entre eux. La non-violence, il ne faut pas la caricaturer, il ne faut pas simplement l’assimiler aux grandes marches de Gandhi, mais il faut aussi pouvoir en penser toute l’actualité. Aujourd’hui, il y a plusieurs leviers d’action".

Et le sociologue de détailler : "D’abord, il faut pouvoir agir sur le niveau juridique, sur le niveau du droit. C’est important parce que dans des États de droit, ça reste un levier majeur. Il faut en appeler à la responsabilité des élites, des dirigeants politiques, des dirigeants économiques. On doit pouvoir placer les élites face à leurs responsabilités devant des crises profondes, quelles qu’elles soient. Et on doit en appeler à des mobilisations collectives, des mobilisations qui refusent toutes formes de violence dans les discours ou dans les actes, qui refusent aussi bien les insultes, les agressivités ordinaires ou les saccages, mais qui en même temps mobilisent une communauté, une société. Cette mobilisation est fondamentale".

Il faut en appeler à la responsabilité des élites, des dirigeants politiques, économiques

Et il ne faut pas, selon lui, sous-estimer "la conscience intime, morale": "Chaque être humain est concerné par la non-violence. C’est ça le message de Gandhi, c’est que personne n’en a fini avec la façon dont il conçoit sa propre vie pour essayer de la mettre en accord avec un idéal non-violent".

 

Martin Luther King à Berkeley, Californie, en 1967
Martin Luther King à Berkeley, Californie, en 1967 © - Michael Ochs Archives (Getty)

Gandhi, l’influenceur

La figure du Mahatma et ses actions, comme la Marche du sel, ont inspiré bien d’autres figures. Martin Luther King, par exemple. Mais qui pourrait, de nos jours s’en approcher ?

La non-violence est un acte social qui engage une société et qui engage des personnes au-delà même du jeu politique

Le professeur de l’UCLouvain se montre sur la question très prudent : "la non-violence — et c’est toute la force et l’ambiguïté de Gandhi — n’est pas un acte purement politique. On ne peut pas dissoudre la non-violence dans la politique. Il y a des conséquences politiques. Effectivement, Martin Luther King a été un exemple assez extraordinaire et on pense à d’autres personnes, mais je ne veux pas les nommer ici parce que ce serait trop long. Mais la non-violence est plutôt ce que j’appellerais un acte social qui engage une société et qui engage des personnes au-delà même du jeu politique" souligne-t-il.

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