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37 millions de surcoût : la Cour des comptes s’intéresse au chantier de rénovation de la station d’épuration de Bruxelles-Sud

La station d’épuration Bruxelles Sud modernisée a été inaugurée en mars 2022.

© Belga

37 millions d’euros de plus! C’est l’impressionnant montant du surcoût de la rénovation de la station d’épuration de Bruxelles-Sud, située rue Bollinckx, à Forest. La Cour des Comptes a trouvé matière à creuser ce dossier: un audit du marché de remise à niveau des installations a été lancé. Il vient d’être publié.

Inaugurée en grande pompe en mars dernier, cette station modernisée épurant les eaux de 360.000 équivalents-habitants (du sud de Bruxelles et de la proche périphérie) et 25 millions de mètres cubes d’eau par an, dispose désormais des systèmes les plus modernes en matière de traitement des eaux usées. Mais voilà, la facture du chantier qui devait être de 70 millions est passée à environ 110 millionsLa faute en grande partie, estime Hydria, société bruxelloise de gestion des eaux, en charge du fonctionnement de la station, à de mauvaises estimations établies par un prestataire.

Montant de départ : 72,815 millions

Petit retour en arrière : la station d’épuration Sud, la première à Bruxelles, est mise en service en 2000. Mais suite à des exigences européennes et l’absence de traitement tertiaire des eaux usées (en clair, la réduction de la concentration en azote et phosphore des eaux rejetées), une rénovation du site s’avère plus que nécessaire.

Avant de lancer le chantier, Hydria lance un appel d’offres pour un "marché d’assistance technique". Le prestataire choisi devra se charger des études préliminaires, de réaliser un état des lieux, proposer des solutions, des plans, des éléments techniques… C’est la société momentanée Exlime qui est retenue, en février 2010. Montant du contrat : près d’un million d’euros.

Place ensuite au choix de l’entreprise qui mènera à bien les travaux : ce sera la société momentanée CFE-Vinci-Nizet Entreprise (SM CVN). Nous sommes en 2013. Exlime valide ce choix et le montant du chantier soit 72,815 millions d’euros. Durée : 1220 jours calendrier.

Mais le 3 décembre 2013, "avant que l’ordre de commencer les travaux ait été donné", peut-on lire dans l’audit de la Cour des comptes, "la SM CVN a transmis à Hydria une liste de 109 points bloquants découverts durant la période de préparation à l’exécution du chantier. […] Par la suite, l’adjudicataire a introduit des dizaines de réclamations en invoquant des erreurs ou lacunes dans la conception du marché et, dans une moindre mesure, des circonstances imprévisibles".

Un des chantiers les plus compliqués en Belgique

Damien De Keyser, directeur général d’Hydria, arrivé en janvier 2017, soit bien après le lancement du marché, énumère ce qui a fait exploser la facture finale de ce chantier dont certaines phases (traitement des eaux) ont été clôturées dès 2018.

"Nous nous sommes retrouvés face à un chantier extrêmement complexe, au niveau technique, au niveau de l’exploitation, au niveau du site même où ont eu lieu ces différents travaux", développe-t-il. "Exemple : nous avons dû creuser très profondément, à un endroit situé le long d’une ligne de chemins de fer à grande vitesse, qui ne pouvait pas se tasser de plus de deux millimètres. Par ailleurs, nous avons dû continuer à exploiter la station pendant le chantier. Bref, nous avons fait face à un des chantiers les plus compliqués en Belgique à ce moment-là."

Une action en justice

"Les augmentations résultent de plusieurs points", détaille Damien De Keyser. "Tout d’abord, nous considérons diverses erreurs de conception qui ont sans doute été commises par notre bureau d’études, notre cocontractant (ndlr : la SM Exlime). L’audit de la Cour des comptes le dit. Nous avons assigné cette société en justice (ndlr : auprès du tribunal de première instance). Une expertise est en cours et nous verrons les responsabilités qui seront établies. La justice dira aussi, s’il y a erreurs, si celles-ci peuvent donner lieu à des indemnisations au profit d’Hydria

Précisément, l’expertise doit "identifier les causes des modifications ordonnées en cours d’exécution et d’évaluer si celles-ci étaient utiles ou nécessaires à la construction et au fonctionnement des ouvrages et à l’atteinte des objectifs performanciels du marché".

Par ailleurs, des circonstances imprévisibles sont venues alourdir la note. Première circonstance : des exigences en matière de sécurité et d’accessibilité du site de la part du SIAMU, venues après la délivrance du permis. "Sur le site, il existe une zone dite ATEX, donc explosive. Les exigences à rencontrer en la matière sont particulièrement strictes. Nous avons fait en sorte de les respecter entièrement."

Nous avons aussi découvert de l’amiante

"Nous avons aussi découvert de l’amiante dans des canalisations enterrées, dont personne n’avait connaissance", ajoute Damien De Keyser, "ce qui nous a obligés à mener des chantiers de désamiantage coûteux. Il y a eu le Covid. Nous avons eu aussi des demandes d’Infrabel, gestionnaire du réseau de chemins de fer, qui sont venues par la suite."

Damien De Keyser parle d’une augmentation de la facture du chantier sur base d’éléments objectifs. "Il ne faut pas non plus oublier qu’il y a eu pas mal d’améliorations environnementales dans cette station", comme la riothermie, soit une technologie permettant la récupération de la chaleur résiduelle ou la fraîcheur des eaux usées pour chauffer ou climatiser le bâtiment de la station (entièrement passif) mais aussi produire de l’eau chaude.

"Ce sont des choses qui n’étaient pas prévues en 2010 lors de la conception du projet et qui ont été rajoutées. Ce ne sont pas des surcoûts mais des améliorations. Il est normal qu’au regard des technologies qui évoluent au niveau environnemental, nous souhaitions atteindre de meilleures performances. C’est logique et justifiable. Quant au traitement des eaux usées, cette station de Bruxelles-Sud rencontre désormais les exigences fixées par l’Union européenne en matière de traitement des eaux usées. Mieux : elle les dépasse."

Les ménages bruxellois ne paieront pas la note

Reste une question : cette hausse de la facture de 37 millions d’euros sera-t-elle, tôt ou tard, imputée sur la facture du consommateur bruxellois ? "Nous avons assumé l’ensemble du coût du chantier sur fonds propres", assure Damien De Keyser. "Nous n’avons pas demandé d’augmentation du prix de l’eau (et de la part liée à l’épuration). Nous n’avons pas non plus demandé une augmentation du subside que nous octroie la Région de Bruxelles-Capitale."

Dans ses recommandations, la Cour des comptes invite en tout cas Hydria à mettre en œuvre des mesures de contrôles internes "permettant de garantir une conception optimale des documents de marché" ainsi qu’à prévoir "la possibilité d’infliger aussi des sanctions aux consultants".

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