Décrypte

22 milliards récoltés : que nous révèle le succès des Bons d’État sur l’épargne des Belges ?

© Getty Images

Par Romane Bonnemé

Vingt-deux milliards. C’est la somme levée auprès des ménages belges qui ont acheté un Bon d’État à un an proposé par le gouvernement entre le 22 août et le 1er septembre de cette année.

"Il s’agit de loin de l’émission de bons d’État la plus réussie jamais réalisée", note l’Agence de la Dette dans un communiqué du 4 septembre qui "se réjouit qu’un si grand nombre de citoyens aient profité de l’offre de ce bon d’État à un an".

Ce "si grand nombre de citoyens" dont fait état l’Agence est de 600.000. Soit un peu plus de 15% des Belges de plus de 18 ans.

Un succès tout relatif donc si on le met en perspective avec les comportements d’épargne de l’ensemble de la population belge majeure.

Qui sont les Belges qui peuvent aujourd’hui mettre de côté ? Et d’où viennent ces 22 milliards ?

L’équipe Décrypte s’est penchée sur l’évolution de l’épargne des Belges au prisme de la belle performance du Bon d’État.

Pas pour Monsieur ou Madame tout le monde

Peut-on affirmer, comme l’a récemment indiqué le CEO de BNP Paribas Fortis, Michael Anseeuw que "le Bon d’Etat [a offert] la possibilité aux personnes qui n’avaient jamais investi de le faire pour la première fois" ?

Contactée par l’équipe Décrypte, l’Agence de la Dette ne dispose pas encore d’informations sur le profil sociologique des acheteurs, ni sur leur lieu de résidence, ni sur leur patrimoine ou leur taux d’épargne. Le montant médian (c’est-à-dire l’indicateur qui ne tient pas compte des disparités importantes de valeurs, et selon lequel 50% des personnes ont acheté plus de ce montant et 50% ont acheté moins) n’est pas encore disponible.

Seule information connue pour l’instant : le montant moyen d’un Bon d’Etat qui est de 30.272 euros. Selon Anne Fily, autrice du rapport sur l’inclusion financière de Financité, ce chiffre révèle que "ce n’est pas Monsieur ou Madame tout le monde qui a pu se séparer d’une telle épargne"Pour preuve, selon les dernières statistiques officielles disponibles, 4,6 millions de Belges étaient dans l’incapacité d’épargner pendant un mois typique, soit 40,8% de la population.

En 2021, on comptait plus de 18 millions de comptes d’épargne réglementés, soit plus que la population belge totale d’après Febelfin. En d’autres termes, si certaines personnes n’ont pas de compte d’épargne, d’autres en ont plusieurs et sont donc prêtes à libérer pendant un an une partie de cette épargne.

Selon une récente analyse de la Banque nationale de Belgique, 12% des épargnants belges détiendraient ensemble la moitié de l’encours sur les comptes d’épargne, soit 150 milliards d’euros tandis que 40% des Belges n’en détiendraient que 5%.

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Échapper à la taxe sur les comptes-titres

Même si le montant minimum pour acheter un Bon d’État était de 100 euros, y souscrire a surtout été "une aubaine" pour les épargnants "qui ont un patrimoine important", peut-être "pour payer moins d’impôts, notamment pour les très riches", pronostique Georges Hübner, professeur de finance à l’ULiège.

En effet, pour souscrire aux Bon d’Etat, il est possible de passer directement via l’Agence fédérale de la Dette ou via une banque, notamment un comptes-titres. La première option permet de déroger à la taxe sur les comptes-titres, la fameuse taxe des millionnaires, "parce que le Grand-Livre n’est pas un comptes-titres. Et les personnes qui ont fait la souscription via l’Agence ne vont normalement pas transférer les titres sur leurs comptes-titres étant donné que chez nous la gestion est gratuite", explique Jean Deboutte de l’Agence de la Dette.

Presque un tiers du montant total émis (32,4%) des bons d’Etat souscrits cette année l’a été fait via l’Agence de la Dette.

En revanche, si les Bons d’État sont tenus dans un compte-titre dans une banque, alors les épargnants peuvent être soumis à la taxe de 0,15% sur les avoirs détenus sur un compte-titre dont la valeur dépasse un million d’euros.

De l’argent dormant sur un matelas confortable

Qu’ils soient tenus au Grand-Livre de l’Agence ou dans un compte-titre, quelle est l’origine des 22 milliards des Bons d’État ?

"Ils viennent d’argent qui était placé et disponible chez les investisseurs qui ont souscrit soit à des comptes à vue, soit des comptes d’épargne, soit en vendant des titres sur certains comptes. Donc, c’est de l’argent qui dormait", répond Georges Hübner.

En somme, "de l’argent facilement accessible", complète Charlotte de Montpelier, économiste à ING. Fin 2022, cette épargne "liquide" – que l’on appelle "numéraires et dépôts" dans le jargon de la BNB – avoisinait les 488.000 millions d’euros, soit un tiers de l’épargne totale des Belges.

Cette part de l’épargne "liquide" n’a cessé d’augmenter depuis 1998, selon les données de la BNB présentées dans le tableau ci-dessous :

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Ce surplus d’épargne des Belges a notamment vu le jour dans le contexte de la crise sanitaire. A ce moment-là, explique l’économiste à ING Charlotte de Montpelier, "les gens ont continué à avoir des revenus, soit leur salaire tombait car ils étaient en télétravail soit ils ont eu un chômage temporaire grosso modo au même niveau que leur salaire. Mais la consommation avait été très fortement réduite, on ne pouvait plus aller faire des courses, aller au restaurant, partir en vacances, etc. Donc il y a eu une épargne forcée".

Quand on regarde les chiffres, avant la pandémie, les ménages belges épargnaient tous les mois 12% de leurs revenus. Autrement dit 12% de leur revenu n’était pas consommé. Pendant la crise sanitaire, ce taux d’épargne a bondi pour atteindre 25.2%.

Depuis, la consommation a repris et selon les derniers chiffres disponibles, au premier trimestre 2023, ce taux d’épargne était de 13,9%.

Près de 18 milliards d’euros transférés des banques vers le Bon d’État

Preuve que l’argent des Bons d’État était disponible relativement facilement : la majeure partie a simplement été transférée de comptes d’épargne vers le Bon d’État. Ainsi, chez ING, deux tiers des avoirs placés dans le bon d’État ont été ponctionnés sur les livrets d’épargne, tandis que chez Belfius et BNP Paribas Fortis, 80% des sommes sont issues des comptes d’épargne, révèle L’Echo.

Les transferts se comptent en milliards : 6,2 milliards d’euros qui ont quitté les comptes de BNP Paribas Fortis, 5,7 milliards ceux de KBC, 3.5 milliards ceux de Belfius et 2,5 milliards d’ING pour aller vers les Bons d’État.

Au total, ce sont 17,9 milliards d’euros sur les 21,896 milliards qu’a rapportés le bon d’État de ces quatre banques qui ont été transférés.

Sans compter les neuf autres établissements bancaires qui proposaient de souscrire au bon d’État (ABN Amro, Crelan, Beobank, Bpost Banque, Deutsche Bank, VDK Bank, Leleux, Degroof Petercam et Van de Put) et pour lesquels nous n’avons pas encore le décompte des montants transférés.

Quelles alternatives pour les "petits épargnants" ?

Pour que les Belges qui ont très faible capacité d’épargne puissent aussi mettre de l’argent de côté et faire face à d’éventuels "coups durs", Anne Fily de Financité prône un autre modèle. Celui d’un compte d’épargne réglementée avec un taux bonifié. "Ce serait la possibilité d’épargner 10.000 euros, mais avec un taux qui serait proche de l’inflation pour des personnes qui ne gagnent pas plus de 25.000 euros par an en modulant notamment avec le nombre d’enfants, etc."

En France, ce type de placement existe. Il s’appelle le livret d’épargne populaire (LEP), un placement dont le taux d’intérêt est attractif. Concrètement, "le LEP est accessible aux épargnants modestes dont le revenu fiscal de référence 2021 ou 2022 est inférieur à certains plafonds : 21.393 € pour une part fiscale et 32.818 € pour deux parts fiscales par exemple", indique le site français Que-Choisir.

Curieusement, ce placement destiné aux ménages les moins favorisés ne fait pas le plein. En mai 2023, la Banque de France indique que seulement la moitié des Français éligibles avaient ouvert un livret d’épargne populaire. L’une des propositions pour y remédier est le relèvement des plafonds.

LE MODE D EMPLOI : Bons d Etat

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