François Patuel est chercheur sur l'Afrique de l'Ouest francophone auprès d'Amnesty International, et a effectué plusieurs missions en Guinée-Conakry ces dernières années. Et, il ne dit pas autre chose.. Mais, lui pointe une autre source de motivation pour les Guinéens à tenter le voyage vers l'Europe: l'impunité régnant en Guinée, et le sentiment d'injustice qui en découle chez les habitants." Nous avons recensé plus de 100 morts dans le contexte de manifestations politiques depuis 2010. En 2018, on dénombre 21 morts parmi des manifestants contre les résultats des élections locales. Quand on revendique ses droits ou qu’on conteste l’action du pouvoir en place, on peut malheureusement le payer de sa vie ou de sa liberté. Nous avons recensé plus de 100 morts dans le contexte de manifestations politiques depuis 2010. En 2018, on dénombre 21 morts parmi des protestataires contre les résultats des élections locales,"met en lumière François Patuel. Pour ce chercheur, "sur une centaine de cas de décès dans le cadre de manifestations, il y a eu une seule condamnation". "Quand on ne peut plus avoir foi en la justice de son pays, les gens se disent que ce serait sans doute mieux ailleurs".
Ce pays a connu pourtant des avancées, comme l’abolition de la peine de mort, et la criminalisation de la torture, ou celle de l’excision et des mutilations génitales chez les femmes. "Mais, même si la Guinée a criminalisé, depuis plusieurs décennies, l’excision et les mutilations génitales féminines, 9 femmes sur 10 ont subi des excisions en Guinée. C’est un chiffre très important qui fait de la Guinée, le deuxième pays au monde où l’on pratique autant les mutilations génitales féminines, malgré le cadre juridique qui a été amélioré ces dernières années. Le problème est toujours l’impunité : des textes forts sont adoptés, mais leur mise en œuvre pose problème", ajoute-t-il
Les Guinéens n’oublient pas Yaguine et Fodé
Absence de justice, taux de chômage proche des 80%, sans compter l’épidémie d’Ebola qui a frappé un pays déjà dépourvu d’un système de soins de santé moderne, les Guinéens vivent dans l'un des pays les plus pauvres du monde. Face à ce constat, la fuite pour l’Europe est une préoccupation de tous les instants pour les Guinéens. "Les gens sont désespérés. Il n’y a pas d’éducation, pas de travail, et donc pas de moyens de subvenir aux besoins de la famille. Or, toute famille voudrait des conditions minimales de vie. C’est donc normal de vouloir partir."
En 20 ans, peu de choses ont donc évolué depuis le départ de Yaguine et Fodé. La Guinée est le 5e pays dont la Belgique reçoit le plus de demandeurs d’asile en 2019. Aujourd’hui, les Guinéens n’oublient pas Yaguine et Fodé, comme l’a constaté Loïc en côtoyant ce peuple. "Il y a encore des gens qui continuent à faire vivre l’histoire de Yaguine et Fodé, mais aussi la lettre qu’ils avaient laissée. Les jeunes pointaient eux-mêmes le manque d’enseignement, d’emploi et aussi ce paradoxe d’être dans un pays riche, mais la richesse n’est pas là pour nous." Yaguine et Fodé, deux Guinéens qui ont trouvé la mort en rêvant d’une vie meilleure.