Transversales

186 stations de ski alpin françaises sur 600 sont devenues obsolètes

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Par La Première via

Chaque hiver, environ trois sites de moyenne montagne ferment leurs portes, faute de neige, mais aussi faute d’une bonne gestion économique. Télésièges, tire-fesses, télécabines dédiées au ski alpin mais aussi à l’exploitation industrielle ou agricole sont les témoins d’un passé obsolète. Ce sont 186 stations recensées en France en 2021 qui sont désertées. Un reportage de Clémentine Méténier pour l’émission Transversales.

Le brouillard est épais à Saint-Honoré, petite station de montagne situé à 1500 mètres d’altitude. Cela ajoute au mystère de ces bâtiments abandonnés qui se dissimulent dans la brume. Le nouveau village de moyenne altitude avait l’ambition de se développer et avait construit ces immeubles qui n’ont jamais été terminés.

Vincent Neirinck, chargé de mission chez Mountain Wilderness, une association internationale de protection de l’environnement fondée par des alpinistes, déplore : "En fait une mine charbon a été exploitée sur ce plateau à la fin du 19e siècle. Comme partout, au début des années 80, le charbon n’a plus eu la cote. L’économie en montagne se résume au ski alpin, donc l’argent de la reconversion du site a servi à cela. Sauf que ce n’était pas la bonne altitude, la bonne exposition, et pas le bon endroit. Après moult vicissitudes, on se retrouve devant ces bâtiments abandonnés, avec une station qui a tourné quelques années mais sans prendre son envol".

Station fantôme ? Pas vraiment…

Pierre-Alexandre Metral est doctorant en géographie à l’université de Grenoble Alpes. Il a dédié sa thèse aux trajectoires de reconversion post-touristique des stations de ski. Son recensement des stations fermées, qui ont donc arrêté les derniers remonte-pentes en activité comptabilise 186 ensembles sur 600 stations. On les surnomme des stations fantômes. Une appellation erronée selon le géographe : "C’est une appellation que je bannis. À la base je pense que cela vient des stations de métro qui ont été abandonnées ou qui sont inutilisées. En altitude, cela voudrait dire qu’il y a des stations et des remontées mécaniques qui hantent la montagne. En fait, il y a toujours des habitants, des commerçants, ça reste touristique pour les quatre saisons, il y a toujours plein d’activités organisées ou pas, comme la randonnée, le ski de randonnée, cela reste des espaces attractifs. Cela concentre aussi beaucoup d’intérêts à l’échelle locale, il y a des projets pour récréer de l’activité sur ces territoires. Tout n’est pas fini, l’aspect fantomatique, c’est un préjugé".

Selon lui, il n’y a pas qu’une seule explication à ces fermetures progressives des stations liées aux sports d’hiver. L’absence de neige due au réchauffement climatique est dans tous les esprits, mais il n’y a pas que cela.

"C’est difficile de donner un facteur d’explication, selon moi, ces stations ferment pour des motifs économiques. C’est comme pour une entreprise, quand elle n’est plus rentable, qu’elle n’a plus assez de chiffre d’affaires et qu’elle devient déficitaire, se pose la question de sa continuité. C’est influencé par des facteurs de vulnérabilité, qui sont multiples. Le manque de neige lié au réchauffement climatique, la concurrence entre les stations, l’isolement des domaines skiables situés trop loin dans la montagne, et la conjoncture qui a fait que le ski n’est plus le sport numéro un comme dans les années soixante. Tous ces facteurs conjugués vont faire dépérir certaines stations".

Télésiège à l’abandon dont les matières se désagrègent dans la nature
Télésiège à l’abandon dont les matières se désagrègent dans la nature © Getty images

Le bric-à-brac oublié en altitude et un enjeu patrimonial

Au côté des enjeux sociaux, économiques et touristiques posés par la fermeture des stations de ski, il y a la question écologique. Décomposition des éléments plastiques, présence d’huile de moteur qui risquent d’infiltrer les sols, réel danger pour les oiseaux qui pourraient percuter les câbles. Ces engins obsolètes doivent être démontés et l’association internationale Mountain wilderness y travaille depuis une vingtaine d’années. Ils ont ainsi débusqué des téléphériques isolés à 3000 mètres d’altitude qui avec le recul de glacier se sont effondrés et sont restés oubliés de tous.

"On a lancé un recensement dans les espaces protégés, les parcs naturels régionaux, les réserves naturelles, le parc du Mont-Blanc. On s’est rendu compte qu’il y en avait des centaines et des centaines d’éléments, touristiques bien sûr, mais aussi industriels, agricoles, militaires. Dans un premier temps, on recense, puis on nettoie les abords et maintenant on est dans la phase de démontage. Toujours en prenant en compte qu’il peut y avoir du patrimoine. Garder l’histoire et la mémoire, toujours. Garder l’objet, pas systématiquement. Si on le garde, on doit réfléchir comment le mettre en valeur, comment il raconte l’histoire du lieu".

Depuis 2016, la loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne rend obligatoire le démontage des remontées mécaniques en fin d’exploitation. Le syndicat professionnel national des entreprises de remontées mécaniques 'Domaine skiable de France' inscrit alors dans ses éco-engagements une stratégie d’élimination des remontées mécaniques abandonnées à partir de l’été 2021 à raison de trois par an.

Selon l’OCDE, 80 sites de moyenne montagne devront fermer d’ici à 2050. Il établit que sur l’arc alpin ce seront deux tiers des stations qui ne pourront plus être rentabilisées dans le futur.

A Saint-Honoré, des artistes s’emparent des espaces abandonnés

À Saint-Honoré, la station dite fantôme, 60 personnes habitent à l’année. Parmi eux, Christophe Stagnetto, photographe rétorque : "On y vit, donc on fait partie des fantômes. On fait abstraction de la ruine qui est à côté, de mon balcon je ne peux pas la voir, j’ai juste une vue fantastique sur les massifs environnants. On vit ici comme dans n’importe quel hameau de montagne. Quand je n’ai pas envie de le voir, et quand j’en ai envie je l’utilise pour mes photos, surtout quand je suis arrivé ici, c’était tout vierge, sans tags. Je m’en servais un peu comme un studio photo. Culturellement, les artistes se le sont approprié".

En effet, les lieux inspirent plus d’un artiste, les graffeurs qui ont là leur galerie d’art, plateau de tournage de clips, danse contemporaine ou hip-hop. Si le ski alpin n’est plus l’attrait principal, le ski de randonnée, la photographie animalière, la luge, les balades en raquettes continuent de motiver les visiteurs à venir prendre un bol d’air en altitude.

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