Matin Première

15 novembre 1908, le jour où la Belgique « hérite » du Congo

Il y a 113 ans, le 15 novembre 1908, le Congo devient le Congo belge, c’est-à-dire une colonie de l’Etat belge. Car auparavant, le Congo était la propriété personnelle du roi Léopold II.

Quand j’étais petit, à l’école, il y avait dans mon manuel d’histoire cette phrase mystérieuse : "le roi Léopold II fait don du Congo à la Belgique". Je me demandais par quelle magie le Roi des Belges pouvait ainsi léguer un territoire au cœur de l’Afrique à notre petite Belgique.

Cette phrase était sans doute supposée traduire l’immense générosité du deuxième roi des Belges qui donnait ainsi à notre Etat un territoire quatre-vingt fois plus grand que le nôtre.

Il n’y avait pas d’explication de texte et pour cause : car ce don du Congo à la Belgique ne traduit aucun geste de générosité ; c’est contraint et forcé que Léopold II agira ainsi, un an avant sa mort.

Mais comment diable Léopold II s’est-il ainsi retrouvé propriétaire du Congo ?

 

Parce qu’il était convaincu que la Belgique devait se doter d’une colonie : c’était selon lui une manière d’exister sur la scène internationale, d’affirmer notre présence sur la scène européenne et en quelque sorte de nous grandir. Le souci c’est que nos représentants n’en étaient aucunement convaincus.

Alors le Roi décide d’agir seul et fait venir à Bruxelles Henry Morton Stanley. Stanley à qui le directeur du New York Herald avait proposé de retrouver l’explorateur britannique Livingstone. Stanley le retrouve sur les bords du lac Tanganyika puis se lance dans une incroyable expédition qui le fait traverser l’Afrique d’est en ouest ; près de 1000 jours à remonter le fleuve Congo.

Pour Léopold II c’est l’homme providentiel : Stanley retourne au Congo pour signer au nom du roi des Belges des contrats avec des chefs de tribu qui ne savent pas ce qu’ils signent : ce qu’ils prennent pour un traité d’amitié transfère leur territoire au roi des Belges.

C’est en fait la pratique de tous les colonisateurs à l’époque : ces contrats sont un moyen de se faire reconnaître comme souverain de ce territoire vis-à-vis des autres puissances européennes.

Et on voit tout le malentendu qui existe dès le départ dans le lien entre colonisateurs et colonisés. Mais ce qu’il y a d’original ici, c’est que Léopold II n’agit pas au nom d’un Etat, en l’occurrence la Belgique, mais en son nom propre.

Une initiative "philanthropique"

 

Et c’est bel et bien un fait unique dans la colonisation de l’Afrique : Léopold II engage ses fonds propres pour devenir propriétaire du Congo. Comment va-t-il s’y prendre ? Par un extraordinaire opportunisme.

Tout d’abord il crée un comité d’études international à but scientifique qui présente son initiative sous un aspect philanthropique ; cette image fausse persiste lorsqu’il crée une association internationale du Congo chargée de le représenter.

Ensuite, en traçant lui-même un jour à Ostende avec Stanley un immense rectangle autour du fleuve Congo qu’il considère comme le bassin. Enfin en jouant habilement sur les rivalités des grandes puissances comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne et surtout la France à qui il va d’ailleurs donner un droit de préséance au cas où il échouerait. En clair, dit-il aux Français : si je fais faillite, vous aurez une option prioritaire sur ma propriété.

 

Du caoutchouc, mais à quel prix ?

 

" Mais Léopold, tu vas nous ruiner avec ton Congo " disait Marie-Henriette à son mari. La première richesse du Congo, à l’époque, c’est le commerce de l’ivoire mais c’est loin de suffire face aux énormes dépenses consenties par le Roi.

En désespoir de cause, l’Etat belge, bon gré mal gré, lui prête de l’argent mais ce qui va le sauver, c’est l’invention en 1888 de John Dunlop : le pneu, essentiel pour les vélos, motos et autos en plein développement. Or, le Congo regorge d’arbres en caoutchouc. Va alors commencer une chasse acharnée avec de terribles excès : les indigènes sont priés de payer un impôt en lianes de caoutchouc et comme les intermédiaires sont payés en fonction de la quantité, cela va entraîner de terribles brutalités et des massacres qui vont créer un énorme scandale.

Au point que le Roi se sent obligé d’envoyer une commission d’enquête internationale, persuadé que tout ce qu’on dit est largement exagéré. Mais le constat est sans appel : " l’Etat indépendant est une entreprise financière privée qui n’est pas administrée dans l’intérêt des indigènes ni même dans l’intérêt économique de la Belgique. Le ressort principal a consisté à procurer au Roi-souverain un maximum de ressources. "

 

 

Pour mettre fin au scandale, le Roi va léguer le Congo à l’Etat belge

 

Il ne le fera pas de gaieté de cœur. D’autant que ces révélations ruinaient l’image philanthropique qu’avait voulu se donner le Roi. C’est donc le 15 novembre 1908 que la souveraineté personnelle de Léopold II sur le Congo prend fin et que le Congo devient pour un peu plus d’un demi-siècle, du 15 novembre 1908 au 30 juin 1960, un système colonial comparable aux autres, le Congo belge. La mise en place d’une administration publique permit davantage de contrôle et une approche plus rigoureuse.

Mais pas d’illusions : le système colonial n’est pas un système juste et égalitaire : le rapport remis le mois dernier au Parlement par dix experts est accablant et remet complètement en cause la prétendue mission civilisatrice des Belges au Congo qu’on nous apprenait autrefois à l’école.

Conclusion : il est temps d’adapter les manuels scolaires et d’affronter, sereinement mais sérieusement, cette page de notre histoire, d’autant que des liens particuliers demeurent entre Belges et Congolais.

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