Belgique

15% de réduction de la consommation de gaz d’ici l’hiver : la Belgique exemptée car cela l’aurait pénalisée

Les pays membres de l’Union européenne se sont accordés sur une réduction volontaire de la consommation de gaz de 15% d’ici l’hiver prochain. La réduction ne deviendra obligatoire que sous certaines conditions. Même dans ce cas, des exemptions ont été prévues, notamment pour les Etats dont les interconnexions sont limitées et ceux qui peuvent démontrer que leur capacité d’exportation ou leur infrastructure de gaz liquéfié est utilisée pour rediriger du gaz naturel vers d’autres Etats membres. Ce qui est le cas de la Belgique avec le terminal gazier de Zeebrugge.

On a tenu compte de la situation belge

De quoi permettre à la ministre belge de l’Energie, Tine Van der Straeten (Groen) d’être "positive" et "contente" de l’accord trouvé au sein de l’Union européenne, car il a été tenu compte de "la position très spécifique" de la Belgique qui n’importe, selon la ministre, que "5% de son gaz de la Russie" et qui importe beaucoup de gaz d’autres sources, comme la Norvège et la Grande-Bretagne, dont une grande partie est destinée à d’autres pays, comme l’Allemagne.

La ministre belge de l’Energie, Tine Van der Straeten, a précisé que la Belgique "n’était pas contre un plan de solidarité", mais que la Belgique aide déjà d’autres pays "via les interconnexions".

La Belgique, comme le rapportaient L’Echo et De Tijd, ce mardi, avait rejoint le camp des Etats membres s’opposant au plan de la Commission européenne. C’est surtout le caractère obligatoire de cette mesure que la Commission envisageait d’imposer en cas d’urgence qui suscitait l’opposition de ces Etats, dont la Belgique.

Du côté belge, l’Echo et De Tijd, citaient une "source diplomatique" pour expliquer les raisons pour lesquelles la Belgique avait demandé à être exemptée du caractère obligatoire de la mesure. "Si la Belgique était obligée de réduire sa consommation de 15%, elle devrait exporter ces volumes. Or, elle est arrivée à la limite de ses capacités d’exportations", pouvait-on lire dans les colonnes des deux quotidiens. La Belgique est un grand exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) grâce au terminal de Zeebrugge. La crise gazière actuelle a poussé ses volumes d’exportation aux limites de ses capacités.

La ministre belge de l’Energie, Tine Van der Straeten, a confirmé à la RTBF que la réduction de 15% de la consommation de gaz décidée par l’Europe ne s’appliquera pas à la Belgique. "On a des dérogations pour les pays qui ont surtout des exportations qui aident les pays voisins. Aujourd’hui, la Belgique est en mesure d’aider, par exemple l’Allemagne, parce qu’on importe deux à trois fois plus que la consommation belge", a expliqué Tine Van der Straeten. Dès lors, comme ces exportations belges de gaz seront prises en compte, "l’effort pour la Belgique sera moindre", a estimé la ministre de l’Energie.

Les arguments techniques belges pour s’opposer à une réduction de la consommation : comme une baignoire qui se remplirait trop vite

Du côté de Fluxys, le gestionnaire du réseau de transport et de stockage du gaz en Belgique, on ne se prononce pas sur les raisons politiques de la position belge par rapport au plan européen de réduction de la consommation de gaz.

Par contre, Fluxys est en mesure d’expliquer les raisons techniques qui permettent de justifier la position belge.

Contacté par la RTBF, Fluxys rappelle d’abord le contexte. Depuis le début de l’année et particulièrement depuis de la guerre en Ukraine, les flux gaziers qui passent par la Belgique connaissent une situation particulière, différente des années précédentes. "On importe des quantités très importantes depuis la zone de Zeebrugge. Ces quantités sont transportées à travers notre infrastructure soit vers l’Allemagne, soit vers les Pays-Bas", explique Laurent Remy, porte-parole de Fluxys. "On transite vers la Hollande et vers l’Allemagne des quantités qui sont cinq fois plus importantes que la consommation belge", poursuit Laurent Remy.

Cette circulation importante de gaz exporté vers les Pays-Bas et l’Allemagne a des conséquences sur les capacités du réseau gazier belge. "On est très très proche de la capacité maximum de notre réseau, que ce soit vers l’Allemagne ou vers les Pays-Bas", commente Laurent Remy.

Les différents opérateurs qui achètent et vendent du gaz en passant par la Belgique utilisent les capacités de stockage belges. "Ils importent actuellement des quantités très importantes", explique Laurent Remy. Une partie de ce gaz est destinée au marché belge. Dès lors, si la Belgique devait réduire sa propre consommation de gaz de 15%, le gaz non consommé par la Belgique devrait être exporté et c’est là que cela coincerait. Chez Fluxys, on compare cette situation à celle d’une baignoire qui se remplit plus vite qu’elle ne se vide… Laissons donc un instant le réseau gazier belge prendre l’aspect d’une baignoire. "Vous avez d’un côté le robinet qui coule venant de la zone de Zeebrugge et vous imaginez deux points de sortie à la baignoire qui sont l’Allemagne et les Pays-Bas", explique Laurent Remy, le porte-parole de Fluxys. "A partir du moment où vous avez atteint le débit physique maximum que vous pouvez sortir par ces deux trous, vous pouvez encore diminuer la consommation belge, mais cela va avoir pour effet de faire monter le niveau dans la baignoire, mais vous n’allez pas pour autant faire sortir plus de gaz par les deux trous qui ont atteint leur niveau maximum", poursuit Laurent Remy.

D’autres raisons plus économiques

A ces arguments techniques pourraient s’ajouter des raisons plus économiques. Diminuer la consommation impliquerait probablement de devoir diminuer les importations. Par rapport aux pays qui fournissent la Belgique en gaz, cela pourrait signifier de devoir "payer des pénalités par rapport à ce qu’on s’était engagé à importer", explique, à la RTBF, Francesco Contino, Professeur à l’UCLouvain et spécialiste des questions énergétiques. "Si vous êtes engagés auprès d’un fournisseur à acheter une quantité de gaz sur une certaine période, changer du jour au lendemain vos importations a des répercussions", ajoute Francesco Contino.

Réduire la consommation de gaz, c’est aussi toucher des secteurs industriels gros consommateurs de gaz. "Le gaz naturel était perçu comme un vecteur énergétique pour la transition énergétique. C’est un vecteur énergétique qui, par unité d’énergie, émet moins de CO2", résume Francesco Contino. A l’image de ménages qui sont passés d’une chaudière au mazout à un chauffage au gaz, des entreprises ont aussi fait le choix du gaz naturel pour s’écarter des énergies fossiles telles que le charbon. En Belgique, la demande en gaz a donc augmenté. "Cela a pour conséquence qu’une demande supplémentaire qu’on voudrait diminuer est assez complexe à couvrir", explique Francesco Contino. Réduire la consommation de gaz de l’ordre de 15%, ce serait couvrir le risque de diminuer l’activité industrielle lourde.

Quelles sont les entreprises ou les secteurs d’activité qui devraient réduire leur consommation de gaz si une diminution de 15% de la consommation de gaz était imposée ? Des choix devront être faits. "Cela dépendra de certaines priorités et de certaines stratégies. Mais les gros consommateurs de gaz sont connus. Ce sont tous les processus industriels qui nécessitent de la chaleur de haute température. C’est également la production d’électricité, et donc certains gros consommateurs d’électricité qui vont devoir couper une partie de leur consommation", estime Francesco Contino, de l’UCLouvain. "En Belgique, on utilise aussi beaucoup de méthane pour produire d’autres choses, le plus connu étant l’ammoniac", ajoute Francesco Contino.

Selon l’expert en énergie de l’UCLouvain, les conséquences d’une réduction imposée de la consommation de gaz en Belgique ne concerneraient pas les ménages. "La réglementation européenne veut qu’on préserve ou qu’on maintienne l’appui de gaz pour ce qui est résidentiel. Monsieur Tout le monde ou Madame Tout le monde va continuer à recevoir du gaz et ne sera pas directement impacté. C’est surtout au niveau industriel et au niveau économique qu’il va y avoir un impact", estime Francesco Contino. Le consommateur lambda serait donc le dernier à être "coupé". "La consommation résidentielle n’est qu’une fraction de la consommation totale. On a à peine un tiers ou un quart de notre consommation au niveau résidentiel. Donc avant d’arriver à couper le résidentiel, on va couper beaucoup d’autres choses", conclut Francesco Contino.

Ce qu’a confirmé la ministre belge de l’Energie. "Pour la Belgique, il n’y a rien qui va changer", a déclaré Tine Van der Straeten, à la sortie du Conseil européen.

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